Section II > CHAPITRE I. Actes de violence commis contre les femmes et violences sexuelles > E. Janvier 2001-juin 2003 : Vers la transition > Province du Sud-Kivu
Durant la période 2001-2003, bien que le Sud-Kivu soit officiellement sous le contrôle du RCD-Goma, plusieurs groupes s’y affrontent, les belligérants sont nombreux et les alliances changeantes, mais tous ont une chose en commun: le recours aux violences sexuelles1140. Cette violence a lieu à la faveur d’un climat d’impunité et d’insécurité généralisées et les auteurs des violences sont souvent difficilement identifiables. Les cas sont innombrables et le degré de violence innommable. Il s’agira ici de présenter seulement quelques cas représentatifs des crimes et des auteurs, sans pouvoir être exhaustif et décrire de façon détaillée la gravité du phénomène des violences sexuelles vécues par les femmes au Sud-Kivu.
Partout où ils se trouvent, les soldats et les officiers du RCD-Goma, qu’ils soient en stationnement ou en patrouille, abusent de leur pouvoir à la faveur du contexte de guerre et violent des femmes et des jeunes filles. Ces violences s’accompagnent d’entrées par effraction au domicile des victimes, de vols et de pillages. En détention la situation est particulièrement atroce pour les femmes.
Baraka, dans le territoire de Fizi, est le lieu d’un nombre impressionnant de viols de femmes, de filles et d’hommes. Entre les mois de juillet et d’août 2002, dans le cadre de l’opération « Savon » ou « Huile de palme », des éléments du CNDD-FDD auraient violé au moins 22 hommes dans plusieurs villages de la presqu’île d’Ubwari. Les victimes étaient accusées de soutenir le RCD-Goma1141.
En 2003, lors des offensives contre le Mudundu-40 et les populations soupçonnées de soutenir ce groupe Mayi-Mayi, des troupes de l’ANC/FRD1142 auraient violé un nombre important de femmes. Dans plusieurs villages du territoire de Walungu des éléments de l’ANC/FRD auraient rassemblé des femmes dans des cases et les auraient violées durant toute une nuit. Durant le seul mois d’avril 2003, 300 femmes auraient été violées dans le cadre de ces opérations1143.
Les ALiR/FDLR auraient aussi commis des viols, notamment dans le groupement d’Irhambi-Katana situé au nord de Bukavu1144 et des enlèvements à l’occasion de pillages, notamment dans le territoire de Kalehe. De nombreuses femmes ainsi enlevées auraient été contraintes à vivre pendant plusieurs mois, voire plusieurs années dans leurs camps où elles ont été utilisées comme esclaves sexuelles1145.
Entre mai et octobre 2000, des éléments ALiR/FDLR ont mené des attaques répétées contre la population civile des villages des groupements de Bushwira (Igobegobe, Cishozi et Citungano) et de Kagabi (Mukongola et Kabare-centre) dans le territoire de Kabare. Dans la plupart des cas, des ALiR/FDLR ont attaqué les villages afin de les piller et de violer les femmes. En 2003, dans le territoire de Kalehe, à Bunyakiri, six filles du village auraient été enlevées par les ALiR/FDLR. Pendant quatre mois, les victimes auraient été violées de façon répétée par plusieurs militaires. D’après le témoignage d’une des victimes, les militaires attachaient une corde aux hanches de la victime pour éviter que celle-ci ne s’échappe. Ils posaient leurs machettes et couteaux par terre, près du lit, et menaçaient les victimes de les tuer si elles s’opposaient à l’acte sexuel. Dans certains cas, les femmes qui résistaient auraient été ébouillantées, mutilées ou battues avec des branches d’arbre. D’autres auraient été égorgées devant les autres femmes1146.
De 2001 à 2002, les Mayi-Mayi, notamment le Mudundu-40, auraient violé et torturé des femmes et les jeunes filles qui furent ensuite soumises à des corvées1147. En 2001, à Nundu au sud d’Uvira, des Mayi-Mayi auraient tué une femme accusée d’être la compagne d’un militaire du RCD-G et auraient coupé ses organes génitaux1148. Fait rare, un grand nombre de femmes et de filles ont publiquement admis avoir été violées dans la ville de Shabunda par des milices Mayi-Mayi. Ces derniers, qui prétendent pourtant combattre les « inciviques », ont enlevé un nombre élevé de femmes, qu’ils ont détenues pendant de longues périodes, parfois plus d’une année. Parfois, les femmes et les filles ont été violées avec des objets tels que des bâtons de bois et des piments. Certaines femmes et filles nécessitaient des soins médicaux pour une descente d’utérus, une grave déchirure vaginale ou une fistule1149. Accusée d’être une espionne pour les Rwandais, une femme et son mari ont été fouettés, puis leurs organes génitaux brûlés avec un flambeau à Shabunda 1150.
Entre 1998 et 2003, des éléments de l’ANC/APR/FDR, des groupes Mayi-Mayi, des ex-FAR/interahamwe/ALiR/FDLR et des FNL auraient violé un nombre indéterminé de femmes dans le territoire d’Uvira, en particulier dans la plaine de la Ruzizi. La plupart des femmes auraient été violées alors qu’elles se trouvaient dans les champs ou se rendaient au marché. Plusieurs victimes auraient été violées collectivement pendant plusieurs heures d’affilée1151.
En 2003, les habitants du territoire de Fizi ont été victimes de plusieurs vagues de violences accompagnées de viols sur des femmes et des hommes. Parmi les centaines de victimes, certaines ont eu l’anus déchiré au couteau. Certains auteurs de viols ont été identifiés comme étant des éléments des FDD1152.
Les femmes pygmées de la région de Bunyakiri et du Masisi (à la frontière du Sud-Kivu et du Nord-Kivu) ont été régulièrement ciblées en raison des croyances attachées aux relations sexuelles avec une femme pygmée. Ces relations sexuelles, souvent brutales et accompagnées d’injures, seraient censées guérir les maux de dos et autres maladies1153.
Bien qu’il soit difficile d’avoir des statistiques fiables sur les violences sexuelles, les cas documentés par les ONG locales dans les différentes régions du Sud-Kivu donnent une indication de la gravité et de la généralisation du phénomène. Entre 1998 et 2003, plus de 1 660 cas de viols, tous groupes armés confondus, ont été recensés dans les trois secteurs du territoire de Fizi. Sur ces 1660 viols, 89 ont été commis sur des hommes, pour la plupart par les FDD. Ces chiffres sous-estiment naturellement l’ampleur du phénomène. Entre 2000 et 2003, 2 500 cas de violences sexuelles ont été documentés par des ONG locales pour la seule chefferie de Bakasi du territoire de Shabunda. Les principaux auteurs de ces actes seraient les Mayi-Mayi et des ALiR/FDLR et dans une moindre mesure l’ANC/APR/FRD1154. D’après une ONG, dans l’ensemble de la province, en 2003, 3 500 cas de viols auraient été enregistrés1155.