Section I > Chap II > B. Attaques contre les réfugiés hutu> 4. Province Orientale > Le long du chemin de fer Ubundu–Kisangani
244. Après avoir traversé la rivière Luluaba au niveau du village d’Ubundu, les réfugiés, ont, pour la plupart, poursuivi leur chemin et se sont installés, vers le 14 mars 1997, dans un camp de fortune appelé « Camp de la Paix », situé dans le village d’Obilo, 82 kilomètres de Kisangani. Le 15 mars, cependant, les troupes de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo)/APR (Armée Patriotique Rwandaise)/UPDF ont pris Kisangani et les réfugiés, dans leur majorité, ont décidé de continuer leur chemin, à l’exception de quelques centaines qui sont restés à Obilo. L’incident allégué suivant a été documenté :
- Le 26 mars 1997 à l’aube, des éléments de l’AFDL/APR ont tué 80 réfugiés au moins, dont des femmes et des enfants, au camp d’Obilo, dans le territoire d’Ubundu. Quelques jours auparavant, des militaires de l’AFDL/APR en provenance de Kisangani s’étaient rendus à Obilo et avaient donné pour ordre aux autorités locales de ramener dans le « Camp de la Paix » tous les réfugiés présents dans le village afin qu’ils puissent recevoir une aide humanitaire. Le 26 mars également, les villageois ont entendu des coups de feu pendant 45 minutes environ. Le lendemain ils sont entrés dans le camp parsemé de douilles et ont découvert les cadavres des victimes. En quittant Obilo, les militaires ont déclaré à la population que les réfugiés étaient des personnes malfaisantes et qu’ils ne devaient en aucun cas aider les survivants. La Croix-Rouge ainsi que certains habitants ont enterré les cadavres dans quatre fosses communes. Deux d’entre elles se trouvent à proximité du marché, une près de l’église des Témoins de Jéhovah et une autre sur les bords de la rivière Obilo275.
245. Les réfugiés qui avaient quitté Obilo avant l’attaque se sont séparés dans deux directions. Un premier groupe, dans lequel se trouvaient des éléments des ex-FAR/Interahamwe est parti en direction de la province de l’Équateur en coupant par la forêt au niveau du point kilométrique 52 puis en passant par le territoire d’Opala. Un second groupe composé principalement de réfugiés, a continué d’avancer en direction de Kisangani dans l’espoir d’avoir accès à l’aide humanitaire, voire d’être rapatrié. Plusieurs dizaines de milliers de personnes se sont installées dans le village de Lula, à 7 kilomètres de Kisangani, sur la rive gauche du fleuve. Le 31 mars 1997, cependant, les militaires de l’AFDL/APR sont arrivés dans la zone et les ont obligées à rebrousser chemin en direction d’Ubundu. Les réfugiés ont alors investi des camps provisoires le long de la ligne de chemin de fer reliant Kisangani et Ubundu sur une distance de 125 kilomètres. Vers la mi-avril, 50 000 réfugiés au moins s’étaient ainsi installés dans les camps de Kasese I et II276, situés près de la localité de Kisesa, à 25 kilomètres de Kisangani. Un second camp de fortune a accueilli 30 000 réfugiés au niveau de Biaro, à 41 kilomètres de Kisangani 277. Le personnel humanitaire s’est fortement mobilisé afin de venir en aide aux réfugiés vivant dans ces camps. Compte tenu de l’ampleur des besoins et des difficultés d’accès aux camps, seule une faible proportion de la population réfugiée a pu bénéficier d’une aide humanitaire. Le personnel humanitaire a par ailleurs dû faire face à l’hostilité des responsables de l’AFDL/APR sur le terrain. Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
- Au cours d’avril 1997, alors qu’entre 60 et 120 réfugiés mourraient chaque jour de maladie ou d’épuisement, les militaires de l’AFDL/APR ont, à plusieurs reprises, interdit l’accès des camps aux organismes et ONG à vocation humanitaire et entravé le rapatriement des réfugiés vers le Rwanda. Malgré l’accord donné officiellement au HCR le 16 avril 1997 par les responsables de l’AFDL pour qu’il rapatrie par avion les milliers de réfugiés se trouvant dans la région de Kisangani, le Gouvernement rwandais a contesté cette option et insisté pour que les réfugiés soient rapatriés par la route278. À plusieurs reprises, cependant, les opérations de rapatriement par voie terrestre ont été reportées sous différents prétextes. Le rapatriement de 80 enfants du camp de Biaro prévu pour le 18 avril a ainsi été annulé par les responsables de l’AFDL/APR au motif controversé que plusieurs cas de choléra avaient été signalés dans le camp voisin de Kasese279. Par la suite, un convoi humanitaire et un dépôt du PAM ont été attaqués par la population locale à l’instigation des militaires de l’AFDL/APR et le personnel humanitaire s’est vu interdire l’accès aux camps situés au sud de Kisangani. Une barrière dressée au niveau de Lula a ainsi marqué l’entrée de cette zone restreinte à tout le personnel humanitaire. Les 19 et 20 avril, MSF a négocié un passage mais n’a pu travailler que pendant deux heures par jour dans les camps. À compter du 21 avril, l’accès aux camps a été totalement interdit au personnel humanitaire280.
- Le 21 avril 1997, des habitants de Kisesa visiblement encouragés par des militaires de l’AFDL/APR ont attaqué les camps de Kasese I et II en faisant usage de machettes et de flèches, tuant un nombre indéterminé de réfugiés et pillant des dépôts humanitaires. Plusieurs sources ont indiqué que l’attaque avait été menée en représailles au meurtre par les réfugiés de six villageois de Kisesa. Cette version des faits a toutefois été contestée par plusieurs sources crédibles. Des militaires de l’AFDL/APR présents sur place auraient directement incité la population à attaquer les camps281
246. De nombreux témoins et différentes sources ont indiqué qu’un train en provenance de Kisangani était arrivé le 21 avril 1997 à proximité des camps avec à son bord des éléments des unités spéciales de l’APR déployées depuis le 17 avril à l’aéroport de Kisangani. L’incident allégué suivant a été documenté :
- Le 22 avril 1997 au matin, des éléments de l’AFDL/APR accompagnés de villageois ont, en présence de plusieurs hauts responsables de l’APR, tué au moins 200 réfugiés dans les camps de Kasese I et II. Les tueries ont duré de 7 à 12 heures. Selon plusieurs sources, quelques éléments des ex-FAR/Interahamwe se seraient trouvés dans les camps mais les victimes étaient pour la plupart des civils282. Après le massacre, les militaires se sont rendus dans le village de Kisesa et ont donné ordre aux villageois de se rendre dans les camps pour ramasser les corps qui, dans un premier temps ont été enterrés dans des fosses communes. Par la suite, les militaires de l’AFDL/APR sont revenus à Kisesa afin d’exhumer les corps et de les brûler. Le 24 avril, des responsables du HCR et du PAM ainsi que quelques journalistes ont pu se rendre dans les camps de Kasese I et II sous escorte militaire de l’AFDL/APR. Tous les réfugiés, y compris les malades et les enfants, avaient disparu283.
247. Immédiatement après les massacres de Kasese, les militaires de l’AFDL/APR ont attaqué le camp de Biaro, à 41 kilomètres de Kisangani. L’incident allégué suivant a été documenté :
- Le 22 avril 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont ouvert le feu de manière indiscriminée sur le camp de réfugiés de Biaro, tuant près de 100 personnes, dont des femmes et des enfants. Les militaires ont ensuite traqué les réfugiés qui étaient parvenus à s’enfuir dans la forêt et en ont tué un nombre indéterminé. Ilsont aussi réquisitionné le bulldozer d’un exploitant forestier basé à Kisangani afin de creuser des fosses communes. Des témoins ont vu des éléments de l’AFDL/APR transporter du bois dans des camions. Ce bois a servi par la suite à dresser des bûchers et à brûler les corps284.
248. Le 28 avril 1997, l’ONG MSF a été autorisée à visiter les camps de Kasese et Biaro mais tous leurs occupants avaient disparu. Selon MSF285, avant les attaques, ces camps abritaient au moins 5 000 personnes qui se trouvaient dans un état d’épuisement extrême286.
249. Le 22 avril 1997, alors que se déroulaient les attaques sur les camps de Biaro et Kasese, des militaires de l’AFDL/APR et des villageois ont arrêté des réfugiés qui tentaient de s’enfuir et les ont contraints à partir en direction du centre ville d’Ubundu. L’incident allégué suivant a été documenté :
- Le 22 avril 1997, au niveau du point kilométrique 52, les militaires de l’AFDL/APR ont ordonné aux réfugiés de s’arrêter et de s’asseoir puis ils ont ouvert le feu sur eux, tuant un nombre indéterminé de personnes, parmi lesquelles un grand nombre de femmes et d’enfants. Les cadavres ont été entassés au bord de la route puis enterrés ou brûlés287.
250. En mai 1997, alors même que le HCR et le personnel humanitaire organisaient le rapatriement de certains réfugiés qui se trouvaient entre le point kilométrique 41 et Kisangani, les massacres se sont poursuivis dans la zone située au sud du camp de Biaro. Cette zone est restée interdite au personnel humanitaire, aux journalistes et aux diplomates jusqu’au 19 mai au moins. Le 14 mai, la délégation de Sérgio Vieira de Mello, adjoint du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, s’est vue refuser l’accès à la zone par des militaires de l’AFDL/APR288. À la même époque, interrogé par des journalistes dans le cadre d’un reportage télévisé, un Zaïrois membre des ex-Tigres katangais intégrés dans l’AFDL/APR a déclaré avoir été témoin de plus d’un millier d’exécutions par semaine dans cette zone. Il a également indiqué que les corps des victimes étaient acheminés de nuit sur certains sites afin d’être brûlés289. Les militaires de l’AFDL/APR ont mené une campagne de « sensibilisation » auprès de la population afin qu’elle ne parle pas de ce qui s’était passé290.
251. À compter du 30 avril 1997, les militaires de l’AFDL/APR ont commencé à acheminer par train plusieurs groupes de réfugiés qui avaient survécu aux attaques sur les camps de Kasese jusqu’au camp de transit installé à proximité de l’aéroport de Kisangani. L’incident allégué suivant a été documenté :
- Le 4 mai 1997, les militaires de l’AFDL/APR ont provoqué la mort de plus de 90 réfugiés en les faisant voyager dans un train dans des conditions propres à provoquer de nombreuses pertes en vies humaines. Les militaires de l’AFDL/APR qui avaient refusé que le personnel humanitaire organise leur rapatriement avaient entassé les réfugiés dans des wagons sans respecter les consignes de sécurité minimales pour la survie des voyageurs291.
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