Section I > Chapitre II > B. Attaques contre les réfugiés hutu> 4. Province Orientale > Le long de l’axe Kisangani–Opala
252. Début avril 1997, des réfugiés en provenance du territoire d’Ubundu, qui avaient probablement fui les massacres de Biaro et Kasese, se sont regroupés dans la localité de Yalikaka, au bord de la rivière Lobaye. L’incident allégué suivant a été documenté :
- En avril 1997, certains habitants du village de Yalikaka, dans le territoire d’Opala, agissant sous les ordres d’un civil, ont tué au moins 50 réfugiés à l’arme blanche ou à coups de branche. Les cadavres ont été enterrés sur les lieux ou jetés dans la rivière. Cette attaque aurait eu lieu en représailles à l’assassinat, survenu un peu plus tôt, d’un habitant du village par des éléments des ex-FAR/Interahamwe292.
253. Après le massacre, certains habitants du village de Yalikaka ont continué à empêcher de nombreux réfugiés de traverser la rivière et de s’enfuir. Ils ont aussi prévenu les militaires de l’AFDL/APR de la présence des réfugiés dans le village. L’incident allégué suivant a été documenté :
- Vers le 28 avril 1997, une vingtaine de militaires de l’AFDL/APR sont arrivés dans le village de Yalikaka et ont tué des centaines de réfugiés. À leur arrivée, ils ont interrogé les réfugiés et écarté un Zaïrois au moins qui se trouvait parmi eux. Ils ont ensuite exécuté les réfugiés par balle. Les corps des victimes ont été enterrés sur place par les villageois293.
254. Après la chute de Kisangani et la destruction des camps situés entre Kisangani et Ubundu, plusieurs milliers de réfugiés se sont regroupés dans les villages de Lusuma et Makako, à 206 kilomètres de Kisangani. Ils n’ont pas pu franchir la rivière Lomami pour atteindre Opala et sont restés sur les lieux, pillant les biens et les récoltes des civils. Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
- Entre avril et mai 1997, certains habitants du village de Yalikaka et des éléments de l’AFDL/APR ont tué 300 réfugiés par balle ou à l’arme blanche dans le village de Makako du territoire d’Opala294.
- Au cours d’avril et mai, le long de la route entre Yaoleka et Anzi, dans le territoire d’Opala, des villageois ont tué plusieurs dizaines de réfugiés en les attaquant avec des flèches empoisonnées ou en laissant à leur portée des produits comestibles empoisonnés. Les villageois cherchaient ainsi à dissuader les réfugiés de venir s’installer dans leur village et, dans certains cas, à se venger des actes de pillage perpétrés par des éléments des ex-FAR/Interahamwe et des réfugiés ayant traversé la région. Entre 25 et 30 réfugiés ont été tués à Yaata, 10 à Lilanga, 21 à Lekatelo et une quarantaine à Otala, à la frontière avec la province de l’Équateur295.
255. La victoire de l’AFDL/APR sur les FAZ et les ex-FAR/Interahamwe dans la province Orientale n’a pas mis fin aux massacres, aux disparitions forcées et aux graves violations des droits des réfugiés dans la province. L’incident allégué suivant a été documenté :
- À compter de mai ou juin 1997, des militaires de l’AFDL/APR ont, au cours d’une opération planifiée, tué un nombre indéterminé de réfugiés, parmi lesquels se trouvaient quelques éléments des ex-FAR, dans la localité de Bengamisa, à 51 kilomètres au nord de Kisangani. Les victimes ont été enlevées à Kisangani et ses environs puis acheminées par véhicule dans un site militaire296. D’après des témoins, les militaires auraient fait croire aux victimes qu’ils allaient les ramener au Rwanda par la route. Une fois arrivées dans les bâtiments du camp, les victimes, dont un grand nombre de femmes et d’enfants, ont été emmenées à l’extérieur des bâtiments par petits groupes, ligotées puis égorgées,ou tuées à coups de marteau sur la tête. Les corps ont ensuite été jetés dans des fosses ou brûlés avec de l’essence. L’opération a été menée de façon méthodique et a duré au moins un mois. Avant de quitter les lieux, les militaires ont tenté de faire disparaître les traces des massacres. À l’aide d’un bateau à moteur et d’une pirogue, ils ont jeté les cadavres dans les rapides de la rivière ainsi qu’une partie de la terre prise sur le site d’extermination. Ils ont aussi fait exploser des bombes dans le camp de façon à retourner la terre où les corps avaient été enterrés297.
256. Après la fermeture du camp de Bengamisa, des militaires de l’AFDL/APR se sont installés à une trentaine de kilomètres de là, dans la localité d’Alibuku. Ils ont monté un camp temporaire à 5 kilomètres du village, dans une zone non habitée près d’une carrière de gravier. Ils ont dit aux villageois qu’ils cherchaient les Hutu qui avaient tué les Tutsi au Rwanda et leur ont demandé de les aider à les retrouver. Ils ont aussi bloqué la route menant au camp et ordonné au chef de secteur d’interdire à la population de venir chasser dans la forêt environnante. L’incident allégué suivant a été documenté :
- À compter de juin 1997 et au cours des deux ou trois mois suivants, des éléments de l’AFDL/APR ont tué un nombre indéterminé de réfugiés dans les environs d’Alibuku. Deux fois par semaine, un camion transportant des réfugiés arrivait sur le site escorté par deux jeeps militaires de l’AFDL/APR. Les victimes ont été tuées à l’arme blanche ou ligotées et jetées vivantes du haut de la colline dans la vallée rocheuse. Il est impossible de déterminer avec précision le nombre de personnes tuées sur ce site, mais les victimes se comptent probablement par centaines, vu le nombre d’allers et retours effectués. Avant de partir, les militaires ont cherché à faire disparaître les traces des massacres. Après leur départ,un groupe de villageoises a malgré tout découvert sur place de nombreux restes humains298.
257. Comme dans les autres provinces, la victoire des militaires de l’AFDL/APR sur les FAZ n’a pas mis un terme aux graves violations des droits de l’homme des réfugiés dans la province Orientale. Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
- Le 4 septembre 1997, à 4 heures, des militaires des FAC299/APR ont fait sortir 765 réfugiés d’un camp de transit situé à 11 kilomètres de Kisangani et les ont rapatriés de force au Rwanda et au Burundi en l’absence de témoins extérieurs (organismes des Nations Unies ou ONG). Cette opération a touché 440 Rwandais et 325 Burundais, dont 252 femmes et 242 enfants300.
- En septembre 1997, des militaires des FAC/APR, agissant en présence des autorités administratives locales, ont procédé à la fouille systématique des maisons dans les environs du camp de réfugiés de Lula, à 7 kilomètres de Kisangani, afin d’en retirer les enfants des réfugiés recueillis par la population locale. Selon un témoin, les militaires auraient déclaré que les « Hutu » étaient une mauvaise race qui créerait des problèmes pour les Congolais. Ils ont aussi ajouté que « même les enfants, une fois adultes […] commenceraient à faire de choses incroyables ». Les organismes humanitaires n’ont pas été impliqués dans le rapatriement de ces enfants et leur sort demeure incertain301.
- En novembre 1997, des militaires des FAC/APR ont enlevé 33 réfugiés à l’Hôpital général de Kisangani et les ont conduits vers une destination inconnue302.
- Entre janvier et février 1998, à Kisangani, des militaires des FAC/APR ont arrêté quatre réfugiés rwandais, dont deux mineurs. Leur sort reste inconnu à ce jour. Les victimes étaient membres d’une même famille. Le père enseignait depuis 1996 à l’Université des sciences de Kisangani303.
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