Section II > CHAPITRE I. Actes de violence commis contre les femmes et violences sexuelles > D. Août 1998 – janvier 2001 : Deuxième guerre
576. Cette période a été marquée par de nombreux conflits opposant forces gouvernementales, groupes rebelles et armées étrangères dans un pays divisé en deux, avec, à l’ouest, une zone contrôlée par le Gouvernement et, à l’est, une zone contrôlée par les rebelles1057. Ces conflits successives et concurrentes en RDC ont contribué à la généralisation des violences sexuelles qui ont été principalement attribuables à quatre grandes causes: les affrontements armés, les persécutions contre certains groupes ethniques, la répression contre toute forme d’opposition et, enfin, l’impunité quasi-totale face aux abus de pouvoir et à l’indiscipline des forces de sécurité, de l’armée, de la police et des services de renseignement militaires.
1. Zone sous contrôle gouvernemental
577. Au cours d’affrontements armés, les forces gouvernementales et leurs alliés ont commis des violences sexuelles lors de la conquête de villes, pendant leur stationnement dans certaines régions ou lorsqu’elles ont pris la fuite devant l’ennemi. Les viols, souvent collectifs, ont fréquemment touché de très jeunes filles, parfois même des enfants.
578. Au Bas-Congo, lors de leur brève incursion début août 1998, des éléments de l’ANC (la branche armée du mouvement politico-militaire RCD1058) et de l’APR auraient commis des viols dans les principales villes de la province. À Boma, ils ont réquisitionné un hôtel dans lequel ils auraient violé de nombreuses femmes et jeunes filles pendant trois jours1059. Lors de la reprise des villes du Bas-Congo, fin août 1998, les alliés du Gouvernement de Kinshasa, les Forces armées anglaises (FAA), auraient à leur tour commis des viols de façon systématique et généralisée contre les populations civiles1060. Dans la province Orientale, les FAC auraient commis de nombreux viols de femmes et de jeunes filles mineures dans les régions où ils étaient stationnés, comme à Bondo1061, et en ont emmené certaines avec eux lors de leur fuite de Dingila1062. En Équateur, des militaires des FAC auraient enlevé 36 femmes du village de Bolima-Likote et les auraient violées dans la forêt1063. À Mange, les FAC auraient violé une vingtaine de femmes faites prisonnières et l’une d’entre elles est décédée à la suite des blessures subies pendant le viol1064. D’autres victimes auraient été emmenées par les militaires lors de leur retrait de l’Équateur et auraient servi pendant plusieurs mois comme esclaves sexuelles. L’une des victimes, âgée de 15 ans, a été emmenée par les militaires jusqu’à Kitona (Bas-Congo), puis à Kalemie (Katanga)1065. Au Kasaï occidental, les FAC auraient violé au moins une vingtaine de femmes autour de leur base du territoire de Demba1066.
579. Ã cette époque, les forces de sécurité gouvernementales ont également persécuté toute personne de morphologie tutsi ou soupçonnée de soutenir la rébellion. Les femmes ainsi soupçonnées ont été harcelées, spoliées, arrêtées et détenues. Plusieurs d’entre elles auraient été violées durant leur détention, notamment à Kinshasa1067 et Lubumbashi1068.
580. La répression contre l’opposition a entraîné l’arrestation arbitraire de plusieurs femmes s’opposant au régime ou le critiquant qui, à l’occasion, auraient été victimes de violences sexuelles. Les femmes soupçonnées de sympathie à l’égard de la rébellion auraient été arrêtées, promenées nues dans les rues jusqu’au poste de police et détenues avec des hommes1069. L’une d’entre elles aurait été violée et fouettée en détention pour ensuite être emmenée dans un hôtel de Kinshasa où elle aurait été violée pendant plusieurs jours par un haut gradé et des militaires de la DEMIAP1070. Les violences sexuelles comme moyen de torture et de traitement cruel et dégradant auraient aussi été employées contre certains hommes1071.
581. À Kinshasa, dans les prisons gouvernementales, l’abus de pouvoir des gardiens s’est manifesté à l’égard des prisonnières, qui étaient fréquemment détenues avec les hommes. Les gardiens les auraient régulièrement violées et les auraient obligées à accomplir des tâches domestiques1072. Au sein de l’armée, notamment parmi les nouvelles recrues, l’indiscipline est généralisée. Les militaires auraient ainsi, au cours d’interpellations, d’arrestations arbitraires et d’arrêts à des barrages routiers, violé, rançonné et même demandé des jeunes filles à titre de paiement. Ils auraient parfois obligé leurs victimes à se dénuder en public. Le viol aurait aussi été employé comme punition lorsque la victime ou son conjoint avait refusé de donner de l’argent ou contre les manifestations de désaccord de la population1073. Des jeunes filles et enfants des rues, abandonnés ou isolés par la guerre, auraient également été victimes d’exploitation sexuelle par les FAC qui auraient profité de la grande vulnérabilité de ces victimes1074.
2. Zone sous contrôle des rebelles
582. Les multiples affrontements armés entre les différents groupes dans la zone sous contrôle des rebelles ont visé sans discrimination la population civile, constituée en majorité de femmes et d’enfants, toujours soupçonnée de soutenir l’une ou l’autre des parties. Les soldats de l’ANC et de l’APR et leurs alliés se seraient livrés à des massacres et à des représailles contre la population civile ainsi qu’à des opérations de ratissage à la recherche de l’ennemi dans les villes qu’ils venaient de conquérir ou de défendre. Au cours de ces différentes opérations, de nombreuses femmes et fillettes auraient été violées puis parfois tuées1075.
583. En août 1999, puis en mai et juin 2000, la crise latente entre le Rwanda et l’Ouganda pour le contrôle du parti politique RCD a dégénéré en conflit ouvert1076, qui entraînera une série d’affrontements pour le contrôle de Kisangani, au cours desquels des éléments des deux armées ont commis des viols. Le 17 juillet 1999, avant que la première guerre éclate, cinq filles bloquées dans l’église Maranatha, de la commune de Kabondo auraient été violées par des éléments de l’ANC/APR 1077. Des viols commis par les soldats rwandais, ougandais et congolais lors des deux guerres suivantes, en 2000, ont également été rapportés1078.
584. Au cours du conflit entre l’ANC/APR et les Mayi-Mayi et dans certaines régions contrôlées par les CNDD-FDD1079, les femmes ont payé un lourd tribut. Les groupes se sont livrés à une véritable compétition en matière de cruauté dans les actes de violence sexuelle auxquels ils ont soumis leurs victimes en représailles à leur supposé soutien à leur ennemis.
585. Par exemple, au Sud-Kivu, en août 1998, des éléments de l’ANC/APR auraient violé des femmes dans les villages de Kilungutwe, Kalama et Kasika, dans le territoire de Mwenga. Viols brutaux, éventration et viols à l’aide de bâtons ont fait un nombre inconnu de victimes1080. À Bitale, dans le territoire de Kalehe, en février 1999, des éléments de l’ANC/APR auraient violé des femmes et des jeunes filles qu’ils avaient accusées de soutenir les Mayi-Mayi opérant dans la région1081. Au centre ville de Mwenga, en novembre 1999, des éléments de l’ANC/APR auraient enterré vivantes 15 femmes. Avant d’être enterrées, les victimes avaient été torturées, violées, pour certaines avec des bâtons, et soumises à des traitements cruels, inhumains et dégradants consistant notamment à introduire du piment dans leurs organes génitaux. Certaines victimes auraient été promenées nues dans le village1082. Lors de la contre-attaque menée par les militaires de l’ANC/APR contre les Mayi-Mayi et les CNDD-FDD dans la région de Baraka, en juin 2000, des militaires de l’ANC/APR auraient violé et tué plusieurs femmes et brûlé des maisons1083. D’autres cas de viol commis par des éléments de l’ANC/APR au cours d’attaques et d’activités de répression auraient eu lieu dans le territoire de Kalehe en 1999 et dans les territoires de la région de Baraka1084 et de Fizi1085 en 2000.
586. Des éléments de l’ANC/APR auraient violé des femmes devant leurs époux, leurs familles et leurs communautés lors des attaques contre des villages, comme à Kilambo, dans le territoire de Walikale (Nord-Kivu)1086. Les femmes des Kivu n’ont cependant pas été les seules à subir cette violence: au Maniema également, un grand nombre de femmes auraient été violées, notamment par des éléments de l’ANC/APR1087.
587. De leur côté, les Mayi-Mayi auraient commis des exactions lors d‘attaques contre des villages et dans le cadre de représailles. Des viols ont ainsi été commis à Uvira, dans les territoires de Kalehe, Walungu et Mwenga au Sud-Kivu et au Maniema1088. Ces viols se sont accompagnés d’une cruauté inouïe. Ã Kamituga et Walungu (Sud-Kivu), les miliciens auraient coupé les seins des femmes et les auraient forcées à les manger avant de les exécuter pour les punir de leur supposé soutien au RCD-G ou de leur refus d’exécuter des travaux forcés1089.
588. Les Mayi-Mayi se seraient également livrés à des viols lors de patrouilles, de leurs déplacements, de l’érection de barrières ou à la proximité des parcs nationaux, dont celui de Kahuzi (Sud-Kivu et Nord-Kivu), ainsi que celui des Virunga (Nord-Kivu)1090. Les femmes travaillant dans les champs ou s’y rendant ont été fréquemment visées. Les Mayi-Mayi auraient également commis des exactions (meurtres, viols et tortures) à l’encontre de femmes accusées de sorcellerie, comme par exemple à Mwenga et Kitutu (Sud-Kivu) en 19991091, à Musenge, dans le territoire de Walikale (Nord-Kivu) en 19991092, et à Wabikwa, dans le territoire de Pangi (Maniema) en mars 1999.1093
589. De la fin de 1999 à la mi-2000, les violences sexuelles dans le conflit entre le RCD-G et les Mayi-Mayi au Sud-Kivu ont été telles que l’on estime que de 2 500 à 3 000 femmes au moins auraient été violées pendant cette période, souvent collectivement et brutalement1094.
590. Les milices hutu, rwandaises (AliR/FDLR)1095 et burundaises (FDD/CNDD), auraient aussi commis des viols de façon généralisée et systématique, en faisant usage d’une brutalité bestiale. Nombreuses sont les femmes, essentiellement les jeunes filles, qui ont été enlevées pour servir d’esclaves sexuelles1096. Par exemple, entre 1998 et 2001, depuis les forêts où elles étaient cachées, les milices hutus rwandaises auraient attaqué et pillé plusieurs villages dans les territoires de Kalehe et Mwenga (Sud-Kivu) et dans le Masisi (Nord-Kivu). Au cours de ces attaques, ils auraient violé et enlevé des femmes et des jeunes filles, dont certaines ont été contraintes de porter le butin du pillage1097. Dans certains cas, comme à Mabingu, Kabamba et Mantu (Sud-Kivu) en 1999, les femmes auraient été violées avec une telle brutalité que certaines en seraient mortes. En juillet 2000, des milices burundaises (FDD) auraient violé plusieurs femmes dans le village de Lusenda, (Sud- Kivu) et auraient enlevé des filles dans le Nord-Kivu1098.
591. Dans une spirale infernale, chaque fois qu’elles reprenaient un territoire, les milices hutu rwandaises tout comme l’ANC/APR, se seraient livrées à des représailles, y compris des viols, sur la population. Soupçonnée de cacher ou d’appuyer l’un ou l’autre groupe, la population a subi alternativement les attaques de l’un ou l’autre camp, comme par exemple en 1998 à Chivanga, dans le territoire de Kabare (Sud–Kivu)1099, en 1999 à Mwitwa, dans le territoire de Walikale (Nord-Kivu), et en 2000 aux environs de Kilambo, dans le territoire du Masisi. À Kilambo, par exemple, les soldats de l’ANC/APR auraient attaché les hommes et violé leurs femmes devant eux avant de les exécuter1100.
592. Au Nord-Kivu, les rebelles ougandais des ADF/NALU (Allied Democratic Forces/National Army for the Liberation of Uganda)1101 auraient attaqué et pillé plusieurs villages dans le territoire de Beni et y auraient enlevé des fillettes, des jeunes filles et des femmes pour les réduire en esclavage, y compris en esclavage sexuel1102.
593. De retour sur leurs terres dans les territoires de Fizi et d’Uvira, au Sud–Kivu, en 1999, les militaires banyamulenge se seraient également livrés à des enlèvements et des viols de paysannes qui se rendaient aux champs1103.
594. Dans toutes les régions sous contrôle du RCD-G, la répression contre les opposants a été brutale et arbitraire. Des centaines de femmes accusées d’aider les milices et les mouvements rebelles, soupçonnées d’intelligence avec les FAC ou simplement d’avoir critiqué le RCD-G auraient été sujettes à la violence sexuelle à leur domicile, parfois devant leurs enfants et maris, et auraient fréquemment été arrêtées. Les épouses ou parentes de personnes recherchées auraient parfois été arrêtées en lieu et place de leur conjoint ou de leur frère. Détenues dans des prisons ou des containers, elles auraient été systématiquement violées, battues, puis pour certaines assassinées1104. Si cette répression a surtout touché les femmes des Kivu, elle a aussi fait des victimes dans les autres régions sous contrôle du RCD-G, comme en province Orientale et au Maniema1105. L’usage de la torture dans les lieux de détention du RCD-G comportait des éléments sexuels que l’on retrouve dans les crimes commis lors de certains massacres contre les populations civiles tels que le viol, l’insertion de piment dans les parties sexuelles et les mutilations génitales1106.
595. Dans les zones sous contrôle de l’ANC/APR et de ses alliés, le comportement des éléments armés cantonnés dans les villes, en déplacement ou en opération a été caractérisé par l’indiscipline, l’abus de pouvoir et la brutalité. Les femmes et les filles qui étaient ou se rendaient aux champs, au marché, à la source, dans la forêt pour chercher du bois ou à l’école ont été victimes de viols et enlèvements et sont fréquemment devenues des esclaves sexuelles. Les cas de viol de jeunes filles, le plus souvent en groupe, étaient répandus dans les villes et à proximité des camps militaires, comme par exemple autour des camps de Saïo et Bagira à Bukavu, de Kabare et Kitshanga dans le Masisi1107.
596. Les militaires, notamment ceux du camp de Mutwanga (Nord-Kivu), auraient enlevé des femmes pour les réduire en esclavage1108 . Même les épouses de militaires au front auraient été violées par ceux qui restaient à la base1109. Les rares femmes courageuses qui avaient osé refuser les avances auraient souvent été exécutées avec d’autres membres de leur famille pour donner l’exemple1110. Les employées congolaises d’organisations internationales n’ont pas été épargnées. Des femmes travaillant pour le HCR et le PAM ont également été violées1111.
597. Partout le viol collectif était répandu. On rapporte qu’au Maniema, à Kayuyu, dans le territoire de Pangi, la majorité des viols rapportés entre octobre 1999 et janvier 2000 ont été des viols collectifs1112. La brutalité ne semble plus connaître de limites. En octobre 1999, au Kasaï oriental, à Musangie, à 22 kilomètres de Kabinda, 10 femmes auraient été fouettées, puis violées par plusieurs soldats de l’ANC/APR1113. En 2000 à Tshalu, dans la même région, lors du viol de quatre femmes, des éléments de l’ANC/APR auraient fait subir des traitements cruels et inhumains aux conjoints, amis ou parents des victimes. Au Sud-Kivu, les femmes auraient régulièrement été violées par des dizaines de soldats1114. À Baraka, dans le territoire de Fizi, une jeune fille de 17 ans aurait été violée par une quarantaine de militaires1115.
598. Durant ces années, la situation dans les zones sous contrôle du RCD-G et de ses alliés était tellement volatile, les groupes armés et les alliances si nombreux et changeants, qu’il a été difficile dans certains cas d’identifier les auteurs des viols. Les violences sexuelles ont pris des proportions insupportables et la cruauté et la multiplicité des sévices semblaient exponentielles. Les militaires auraient fréquemment eu recours aux viols collectifs et certaines femmes et jeunes filles ont également été violées à l’aide de bâtons, de pieux et d’armes à feu. Dans certains cas, les auteurs des viols ont enroulé le canon de leur fusil d’un linge qu’ils ont inséré dans le vagin de leur victime pour le nettoyer avant le passage du prochain violeur1116. Parfois les hommes armés ont tiré dans les parties génitales des victimes, causant des dommages aux organes sexuels externes et internes. En 2000, à Ngweshe, dans le territoire de Walungu (Sud-Kivu), une femme enceinte aurait été piétinée par des soldats pour déclencher une fausse couche1117.