Section II > CHAPITRE I. Actes de violence commis contre les femmes et violences sexuelles > F. Multiples aspects de la violence sexuelle
Entre 1993 et 2003, la violence sexuelle fut une réalité quotidienne qui ne laissa aucun répit aux Congolaises. Qu’elles soient écolières ou mères de famille, fiancées, mariées ou veuves, simples paysannes ou épouses de dirigeants politiques, d’anciens membres de l’armée ou de fonctionnaires; militantes de partis d’opposition, travailleuses humanitaires ou membres d’associations non gouvernementales, elles ont subi sans discrimination de classe sociale ou d’âge, et pour une variété de motifs, des violences sexuelles sous leurs formes les plus diverses. Sans pour autant prétendre catégoriser ces violences sexuelles, il est possible de relever certains traits caractéristiques. La majorité des actes décrits dans les sections précédentes se retrouvent dans plusieurs de ces catégories arbitrairement créées afin de mettre en évidence les différents visages des violences sexuelles en RDC. Cette liste de différentes formes de violences sexuelles ne se prétend ni exhaustive ni exclusive.
1. Violence sexuelle comme instrument de terreur
Fréquemment, la violence sexuelle a été utilisée pour terroriser la population et l’asservir. Les différents groupes armés ont commis des violences sexuelles qui s’inscrivent dans le cadre de véritables campagnes de terreur.
Viols publics, viols collectifs, viols systématiques, incestes forcés, mutilations sexuelles, éventrations (de femmes enceintes dans certains cas), mutilation des organes génitaux, cannibalisme sont autant de techniques de guerre qui ont été utilisées contre la population civile dans les conflits entre 1993 et 20031165.
Tortures et humiliations
De 1993 à 2003, des violences sexuelles ont été commises pour torturer des femmes et des hommes à cause de leurs liens avec un parti d’opposition, leurs liens supposés ou avérés avec l’ennemi, leurs liens avec l’ancien régime de Mobutu, leur activisme syndical, politique ou associatif, ou leur origine ethnique. Le viol public est alors pratiqué pour renforcer le caractère humiliant de la torture, le viol collectif pour infliger plus d’humiliation, de souffrance et de destruction.
Dans de nombreux cas, les militaires renchérissent de cruauté dans la violence sexuelle qu’ils font subir à leurs victimes, avec l’introduction d’objets dans les parties génitales. Des bâtons, bouteilles, bananes vertes, pilons enduits de poivre ou de piment, des pointes de fusils ont été introduits dans les parties génitales des victimes. Au Sud-Kivu 12,4 %, des 492 victimes interrogées par deux réseaux de femmes ont été victimes de ce genre de supplices1166.
Il est possible d’affirmer qu’au cours des différents conflits de cette période tous les belligérants ont utilisé la violence sexuelle comme torture et actes cruels, inhumains ou dégradants. Néanmoins, les viols en détention ont principalement été le fait des agents de l’État congolais1167 et du RCD-G. Dans les geôles du RCD-G, les conditions de détention et les actes de torture qui ont été rapportés étaient particulièrement cruels1168.
Viol forcé entre victimes
Les agresseurs ont souvent forcé les membres d’une même famille à avoir des relations sexuelles incestueuses, que ce soit entre mère et fils, père et fille, frère et sœur, tante et neveu, etc. Si ce type de viol a été commis partout dans le pays, les témoignages les plus nombreux ont cependant été recueillis au Nord-Kivu1169, au Sud-Kivu, notamment dans le territoire de Shabunda,1170 et au Maniema1171. Des familles ont également été forcées à assister au viol collectif d’un des leurs, le plus souvent la mère ou la/les sœurs. Les membres de famille de la victime étaient parfois forcés de danser nus, d’applaudir ou de chanter des chansons obscènes pendant la durée du viol. Dans le Sud-Kivu, dans le territoire de Kalehe, à Bitale, les FDLR ont régulièrement violé les femmes et les filles. Arrivant au village pendant la nuit, ils rentraient de force dans les maisons et obligeaient le mari à allumer une torche pour ensuite violer sa femme devant lui et en présence des enfants. Ensuite ils obligeaient les enfants à violer leur mère ou leurs sœurs devant la famille. Certaines femmes ont également été violées par plusieurs militaires à tour de rôle1172.
Politique délibérée de propagation du VIH/sida
Selon certaines victimes du Sud-Kivu, il existerait une politique délibérée de propagation du VIH/sida par les forces combattantes à autant de femmes que possible, afin que celles-ci infectent à leur tour le reste de leur communauté1173. La même stratégie de contamination délibérée a été dénoncée au Maniema1174 et dans d’autres provinces.
Violences sexuelles lors de victoires ou de défaites
Les armées en déroute ont souvent commis des viols et des enlèvements lors de leur retraite, notamment pour se venger de leur défaite sur la population civile. L’exemple le plus marquant est certainement celui du retrait des FAZ devant l’AFDL/APR en 1996 et 1997, avec de nombreux cas de viols collectifs. Les FAC auraient fait de même en quittant l’Équateur et la province Orientale en 1999.
Les soldats vainqueurs quant à eux ont commis des viols lors de la prise d’une ville ou d’un territoire1175. Les commandants « offrent » parfois le viol comme récompense à leurs troupes: en Ituri, après les batailles de Lipri et de Barrière en 2003, les commandants de l’UPC auraient ainsi autorisé leurs troupes à piller et à violer les femmes et les filles de la population civile1176. La violence sexuelle a également été utilisée comme instrument de soumission des vaincus, comme par exemple après la prise de Kinshasa en 1997 ou après la répression de la mutinerie de Kisangani en 2002.
Uvira, au Sud-Kivu, est un exemple représentatif des violences sexuelles subies par les femmes aux mains des différents groupes lors des prises et reprises successives de la ville. Les femmes auraient ainsi été victimes de viols par des éléments de l’ANC/APR/FAB en 19981177, par des Mayi-Mayi et les militaires dissidents banyamulenge en octobre 2002 et de nouveau par des éléments de l’ANC/FRD en représailles de leur supposé soutien aux Mayi-Mayi1178.
2. Esclavage sexuel
Les femmes ont fréquemment été enlevées, considérées comme butin de guerre, et réduites en esclavage sexuel. Les Mayi-Mayi, les Interahamwe/ex-FAR/ALiR/FDLR, les rebelles ADF/NALU et burundais (FDD) auraient pratiqué l’enlèvement à grande échelle, généralement de jeunes filles1179. Les esclaves sexuelles étaient maltraitées, enfermées, attachées, mal nourries et humiliées. Certaines d’entre elles auraient assisté à des actes d’éventration sur leurs consœurs enceintes et de cannibalisme1180. Les femmes enlevées à Bogoro après l’attaque des milices lendu et ngiti du FNI et du FRPI ont rapporté que certaines d’entre elles avaient été jetées dans des trous remplis d’eau d’où elles étaient ressorties régulièrement pour être violées par les soldats et les commandants. Parfois les prisonnières étaient aussi violées par des prisonniers1181.
Les éléments des FAZ, de l’AFDL, de l’APR/FRD, des FAC, de l’ANC et de l’UPC auraient également enlevé des jeunes filles pour les réduire à l’esclavage sexuel. Celles-ci étaient détenues, violées régulièrement par plusieurs hommes à tour de rôle.1182
Cas particulier des enfants soldats
Les violences sexuelles commises sur les enfants associés aux forces et groupes armés (EAFGA) sont terrifiantes car elles s’ajoutent aux multitudes d’autres violations dont ces enfants sont victimes. Lors de leur « enrôlement », beaucoup d’enfants voient leurs mères et sœurs se faire violer. Il a été rapporté que des éléments de l’ANC/APR/FRD ont violé des petites filles toute la nuit et les fouettaient en cas de tentative d’évasion1183.
Les quelques témoignages rapportés depuis le début des audiences du procès Lubanga mettent en évidence les cas de violences sexuelles commises sur les filles-EAFGA. La réduction à l’esclavage sexuel des filles-EAFGA au profit d’un commandant était une pratique généralisée. Des témoins ont rapporté que seules les filles étaient violées dans les camps d’entraînement militaire. Certaines filles devaient également accomplir des tâches domestiques pour les commandants et les soldats. Dans les camps de l’UPC, les commandants obligeaient les jeunes filles enceintes à avorter1184.
Les garçons-EAFGA, appelés Kadogo (« les petits » en swahili), ont été forcés de commettre des exactions, dont des viols, pour « s’endurcir ». Lors d’attaques, des filles leur sont amenées pour qu’ils les violent en présence des villageois et des soldats adultes. En cas de refus les Kadogo étaient exécutés1185.
3. Violences sexuelles commises sur la base de l’appartenance ethnique
Dès 1993, des violences sexuelles apparaissent sur fond de conflits interethniques. Tel est le cas du conflit entre les Banyarwanda et les Ngilima au Nord-Kivu. Les femmes tutsi et banyamulenge ont à deux reprises, en 1996 et en 1998, été victimes de la propagande anti-tutsi de la part des autorités gouvernementales. Plusieurs d’entre elles auraient été violées à Kinshasa par les soldats du Gouvernement et par les miliciens bembe au Sud-Kivu. Lors de la traque des réfugiés hutu rwandais, les troupes de l’AFDL/APR auraient parfois violé des femmes avant de les tuer, comme par exemple lors des massacres de réfugiés à Hombo en 1996 (Nord-Kivu) et à Kilungutwe, Kalama et Kasika (Sud-Kivu) en août 1998. En Ituri, les femmes hema ou lendu sont successivement ciblées par les différents groupes armés en raison de leur appartenance ethnique. S’ajouteront par la suite les femmes nande, pygmées et des femmes d’autres ethnies telles que les Nyala.
4. Violences sexuelles commises au nom de pratiques rituelles
Certaines superstitions et croyances abjectes prétendent que les relations sexuelles avec des vierges, des enfants, des femmes enceintes ou allaitant, ou encore des pygmées permettraient de guérir certaines maladies ou de rendre invincible.
Les Mayi-Mayi, qui se caractérisent par leur pratique de rites particuliers destinés à les protéger du mauvais sort, auraient violé certaines femmes afin de se rendre invincibles et d’obtenir de soi-disant « pouvoirs magiques ». Le viol serait également censé neutraliser les pouvoirs magiques des femmes âgées, gardiennes des fétiches. D’ailleurs les Mayi-Mayi auraient souvent fait preuve d’une grande cruauté et auraient torturé à mort des femmes accusées de leur avoir jeté un mauvais sort1186.
De plus, il était fréquent que les Mayi-Mayi utilisent des parties du corps de leurs victimes pour se confectionner des fétiches et des amulettes. Certains féticheurs, comme au Katanga, auraient découpé et fait sécher des organes sexuels féminins (sexe et seins) et masculins pour en faire des fétiches, d’autres auraient utilisé des fœtus. Des miliciens du Sud-Kivu auraient aussi recueilli du liquide vaginal pour fabriquer des fétiches et des amulettes. Pour leur part, des éléments du MLC et du RCD-N auraient également fabriqué des amulettes à l’aide de sexes boucanés1187.
Dans certains cas, les femmes des communautés batwa et bambuti (pygmées) auraient été ciblées au nom de croyances particulières; en effet violer une femme pygmée pouvait guérir de certaines maladies ou rendre invincible1188.