Section II > CHAPITRE I. Actes de violence commis contre les femmes et violences sexuelles > C. Septembre 1996 – Juillet 1998 : Première guerre et régime de l’AFDL/APR
563. Cette période a été marquée par des violences sexuelles commises par les troupes de l’AFDL/APR1024 au cours de la guerre menant à la prise du pouvoir et par les FAZ en fuite devant l’avancée des premiers. Suivirent les premières années du régime de l’AFDL, marquées par de nombreux viols découlant d’abus de pouvoir de la part des soldats et de la répression politique qui s’est installée.
564. Avec l’arrivée massive des réfugiés burundais et rwandais dans les Kivu en 1993 et 1994, la propagande anti-Tutsi s’est étendue et a notamment ciblé les Banyamulenge établis au Sud-Kivu. Dans le territoire de Fizi, alors que les autorités incitaient la population à chasser les Banyamulenge, plusieurs femmes et jeunes filles auraient été violées, parfois par des dizaines de soldats, puis tuées avec leurs familles en septembre 1996 au cours d’exactions par les FAZ et les « éléments armés bembe »1025. Au Nord-Kivu les forces armées auraient également violé des femmes tutsi et toléré que des civils fassent de même1026.
565. Les violations du droit international humanitaire ont été si massives durant la première guerre et ont coûté la vie à de si nombreuses victimes, dont une majorité de femmes et d’enfants, que les rapports publics couvrant cette période ont fait peu de place ou du moins ont peu distingué les crimes de violence sexuelle des autres crimes graves commis à cette époque. Il s’agit là d’un exemple concret de la tendance générale à sous-documenter ce type de violence. Par exemple, l’Équipe d’enquête du Secrétaire général sur les violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire en RDC mentionne, sans donner de précisions, que des viols auraient été commis par l’AFDL/APR lors des attaques sur les cinq grands camps de réfugiés du Nord-Kivu en octobre et novembre 19961027. L’Équipe Mapping a pu documenter que des femmes auraient parfois été violées avant d’être tuées, comme par exemple lors des massacres de réfugiés à Hombo, village à la frontière entre le Nord-Kivu et le Sud-Kivu en décembre 19961028, à Kausa près de la localité de Nyamitaba au Nord-Kivu en décembre 19961029, à Humule, à 50 kilomètres de Goma, en avril 19971030 et à Kilungutwe, Kalama et Kasika, dans le territoire de Mwenga au Sud- Kivu en août 1998. Lors de ces massacres, certaines femmes auraient aussi été torturées et ont subi des mutilations, notamment sexuelles1031.
566. Qui plus est, au cours de leur avancée, les soldats de l’AFDL/APR auraient aussi violé de nombreuses Zaïroises, notamment au Nord-Kivu aux alentours d’octobre et novembre 1996, en province Orientale, en Équateur et dans le Bandundu en mai 19971032.
567. Au cours de leur fuite devant les soldats de l’AFDL/APR, les FAZ se seraient également livrées à de multiples viols, parfois aussi sur des hommes, et à des enlèvements de femmes et de jeunes filles1033. Ainsi on peut recenser successivement les nombreux viols, souvent collectifs, commis par les FAZ tout au long du chemin qu’ils ont emprunté pendant leur retraite: mi-novembre 1996 à Butembo et Béni (Nord-Kivu)1034, novembre et décembre 1996 à Bunia, à Kisangani1035, à Opala1036, dans le sud-ouest de la province Orientale, à la frontière avec le Kasaï oriental et, à Komanda, dans le district de l’Ituri1037, entre décembre 1996 et fin février 1997 à Buta et Bondo, dans le Bas-Uélé de la province Orientale,1038 de fin février à début mars 1997 dans le territoire de Kailo, au Maniema1039, et enfin en mai 1997 en Équateur1040 et dans le Bandundu1041. De nombreuses femmes auraient été enlevées, utilisées comme esclaves sexuelles et obligées par les FAZ à porter les biens pillés. À Bunia, les FAZ auraient violé des filles du lycée Likovi de manière si sauvage et systématique que sept d’entre elles en seraient mortes. Ils auraient également violé des femmes à la maternité de l’hôpital de la ville et auraient violé et battu des religieuses dans un des couvents de la ville1042.
568. Plusieurs cas de viols commis par des réfugiés hutus rwandais fuyant devant l’AFDL/APR ont été rapportés, notamment dans la région de Mbandaka, en Équateur, en mai 19971043.
569. L’installation du nouveau régime de l’AFDL/APR à Kinshasa a été marquée par de nombreux abus de pouvoir et une tolérance à l’égard de l’emploi de la violence sexuelle par les soldats de l’AFDL/APR et les forces de sécurité qui jouissaient d’une totale impunité.
570. Lorsque le nouveau pouvoir a pris place, les soldats de l’AFDL/APR ont investi les camps militaires désertés par les ex-FAZ. De nombreuses épouses et filles des ex-FAZ vivant toujours dans ces camps auraient été violées et contraintes d’effectuer des tâches domestiques pour les soldats de la nouvelle armée gouvernementale, notamment à Kinshasa et au Bas-Congo1044. Certaines auraient été violées collectivement: une femme, par exemple, accusée d’avoir été la maîtresse d’un militaire des FAZ aurait été violée par 17 soldats de l’AFDL/APR1045.
571. À la suite de l’interdiction décrétée par l’AFDL de porter des pantalons, des leggings et des minijupes pour les femmes, certaines ayant bravé cette prohibition ont été humiliées publiquement, dénudées, molestées, voire battues sévèrement avec des planches cloutées. Une étudiante à Lubumbashi aurait ainsi été déshabillée, fouettée et menacée de mort par les soldats de l’AFDL/APR pour avoir porté un pantalon1046.
572. Après leur établissement dans les différentes provinces, on rapporte que les soldats des FAC/APR1047 se seraient livrés à des violences sexuelles sur des femmes, des jeunes filles et même des écolières, comme par exemple au Nord-Kivu et au Sud-Kivu 1048. Autour des camps militaires, aux barrages routiers ou lors du contrôle du territoire, de nombreuses femmes auraient été victimes de viols collectifs accompagnés de tortures de la part des soldats des FAC/APR, notamment à Kinshasa, Goma et Lubumbashi1049. Dans un cas, des militaires auraient versé de la cire brûlante sur les parties génitales et sur le corps d’une jeune femme qu’ils avaient violée en groupe dans le camp militaire Kokolo de Kinshasa1050.
573. Ces situations relèvent manifestement de l’abus de pouvoir des forces de sécurité du nouveau régime, notamment lorsque les viols font suite à une arrestation et une détention arbitraire ou pour des raisons mineures. Certaines femmes auraient été emmenées dans des hôtels par des membres des forces de sécurité pour y être violées1051. Les soldats des FAC/APR auraient exproprié des familles et violé des jeunes filles au cours d’opérations dans la commune de Mont-Ngafula à Kinshasa. Certaines femmes auraient par ailleurs été contraintes de servir de domestiques au domicile des responsables des FAC/APR1052. En 1997, au Sud–Kivu, des cas d’accusation de sorcellerie dont quatre femmes au moins auraient été victimes ainsi que deux fillettes de 6 et 7 ans ont été rapportés. Arrêtées, elles auraient été sévèrement torturées, mutilées, violées et lapidées par les militaires des FAC/APR. L’une d’elles aurait perdu la vie1053.
574. Le viol a aussi été employé dans la répression des populations civiles soupçonnées de soutenir les Mayi-Mayi. Ainsi, lors d’opérations brutales de ratissage au Nord-Kivu en avril 1998, les FAC/APR auraient violé des dizaines de femmes et de jeunes filles et forcé à plusieurs reprises les hommes à coucher avec leurs sœurs et leurs filles1054.
575. Finalement, la traque de toute forme d’opposition a entraîné l’arrestation de nombreuses femmes se trouvant dans l’entourage immédiat des opposants ou de ceux perçus comme tels. Plusieurs ont été violées par la suite par les forces de sécurité. Par exemple, à Kinshasa, en décembre 1997, un groupe de militaires aurait battu et violé collectivement pendant toute une nuit deux sœurs d’un dissident politique qu’ils étaient venus arrêter à son domicile, sans toutefois le trouver1055. Le viol des femmes et les chocs électriques sur les parties génitales des hommes ont été utilisés comme moyen de torture dans différents centres de détention, notamment à Kinshasa1056.