Attaques contre les réfugiés hutu dans le territoire d’Uvira

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196. En 1996, l’UNHCR estimait à 219 466 le nombre de réfugiés dans le territoire d’Uvira, pour les deux tiers de nationalité burundaise181. Ces réfugiés étaient repartis dans les onze camps situés le long de la rivière Ruzizi: Runingu, Rwenena, Lubarika, Kanganiro, Luvungi, Luberizi (camp situé entre Mutarule et Luberizi), Biriba, Kibogoye, Kajembo, Kagunga et Kahanda. Bien que dans certains camps, les réfugiés civils cohabitaient avec des éléments ex-FAR/Interahamwe (par exemple, dans le camp de Kanganiro) ou ceux du CNDD-FDD (par exemple, dans le camp de Kibogoye), l’immense majorité des réfugiés étaient des civils non armés. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Dans la nuit du 13 au 14 octobre 1996, des éléments armés banyamulenge/tutsi ont attaqué le camp de Runingu à l’arme lourde, tuant quatre réfugiés et en blessant sept autres182.

197. Après la création officielle de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) le 18 octobre 1996, les troupes de l’Alliance appuyées par celles de l’APR(Armée Patriotique Rwandaise) et des FAB (Forces armées burundaises) ont attaqué le village de Bwegera. Après avoir pris le contrôle du village, le 20 octobre, les militaires se sont divisés en deux colonnes, la première partant vers Luvungi en direction du nord et la seconde vers Luberizi en direction du sud. Au cours de leur progression, les militaires de l’AFDL/APR/FAB auraient mené des attaques généralisées et systématiques contre les onze camps de réfugiés rwandais et burundais installés dans le territoire. De nombreux témoins ont affirmé que ces attaques se sont déroulées alors que la plupart des éléments des ex-FAR/Interahamwe et ceux du CNDD-FDD avaient depuis quelques jours déjà quitté la zone. Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 20 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont attaqué les camps de réfugiés d’Itara I et II situés près du village de Luvungi, tuant au moins 100 réfugiés burundais et rwandais. Dans le village voisin de Katala, ils ont capturé et tué à bout portant des réfugiés qui tentaient de fuir. Les militaires ont ensuite forcé la population locale à enterrer les cadavres dans des fosses communes183.
  • Le 20 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont attaqué à l’arme lourde le camp de Kanganiro situé à Luvungi, tuant un nombre indéterminé de réfugiés dont une vingtaine qui se trouvaient dans l’hôpital du camp. Au cours de la même journée, ils ont aussi tué un nombre indéterminé de réfugiés qui se cachaient à Luvingi dans les maisons de civils zaïrois. Les militaires ont ensuite forcé la population locale à enterrer les cadavres dans des fosses communes 184
  • Le 20 octobre 1996, à leur entrée dans le village de Rubenga, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué un nombre indéterminé de réfugiés et de civils zaïrois qui fuyaient en direction du Burundi. Les corps des victimes ont ensuite été jetés dans la rivière Ruzizi185.
  • Le 21 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont attaqué le camp et le village de Lubarika, tuant un nombre indéterminé de réfugiés rwandais et burundais ainsi que des civils zaïrois qui tentaient de fuir le village après le départ des FAZ. Les militaires ont obligé la population locale à enterrer les corps dans quatre grandes fosses communes. Le même jour, les militaires ont aussi brûlé vifs trente réfugiés dans une maison du village de Kakumbukumbu situé à 5 kilomètres du camp de Lubarika186.
  • Le 21 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont attaqué à l’arme lourde le camp de réfugiés de Luberizi, situé entre Luberizi et Mutarule, tuant environ 370 réfugiés. Les militaires ont jeté les corps des victimes dans les latrines. Ils ont aussi tué plusieurs dizaines de personnes (réfugiés et zaïrois) au niveau des villages de Luberizi et Mutarule. Après les tueries, les corps de plus de 60 victimes ont été retrouvés dans les maisons des deux villages187.
  • le 24 octobre 1996, des troupes de l’AFDL/APR/FAB ont attaqué le camp de Kagunga et y ont tué un nombre indéterminé de réfugiés. Un témoin direct de l’attaque a affirmé avoir vu huit cadavres. Les militaires ont aussi tué un nombre indéterminé de réfugiés qui tentaient de fuir en compagnie de Zaïrois au niveau du village de Hongero, situé à un kilomètre de Kagunga188.

198. Après la prise de la ville d’Uvira dans la nuit du 24 au 25 octobre 1996 et la mise en déroute des FAZ sur pratiquement tout le territoire d’Uvira, les réfugiés burundais et rwandais se sont enfuis dans plusieurs directions. Certains sont partis dans le territoire de Fizi puis ont atteint le Nord -Katanga, la Tanzanie ou la Zambie. D’autres ont tenté de fuir vers le nord en passant par les territoires de Kabare et Walungu. De nombreux réfugiés burundais se sont enfuis en direction du Burundi. Ne pouvant pas traverser la rivière Ruzizi, ils ont souvent été appréhendés au niveau de la sucrerie de Kiliba et des villages de Ndunda, Ngendo et Mwaba. Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 25 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué un nombre indéterminé de réfugiés qui se cachaient dans des habitations abandonnées dans les secteurs 3 et 4 de la sucrerie de Kiliba189.
  • Entre le 1er et le 2 novembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué de manière indiscriminée environ 250 civils, parmi lesquels plus de 200 réfugiés et une trentaine de Zaïrois dans le village de Ndunda, situé tout près de la frontière avec le Burundi. Les réfugiés s’étaient cachés dans le village de Ndunda en espérant obtenir la protection des miliciens du CNDD-FDD qui avaient une base dans les environs. Au cours de l’attaque, plusieurs réfugiés se sont noyés dans la rivière Ruzizi en tentant de s’enfuir. Les militaires ont également tué des Zaïrois du village car ils les accusaient de soutenir le CNDD-FDD190.
  • Le 24 novembre 1996, dans le village de Mwaba, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont brûlé vifs 24 réfugiés hutu burundais en provenance du camp de Biriba. A leur arrivée à Mwaba, les militaires ont arrêté les personnes présentes dans le village. Après les avoir interrogées, ils ont libéré les civils zaïrois et enfermé les réfugiés burundais dans une maison qu’ils ont incendiée191.

199. Les militaires de l’AFDL/APR/FAB ont érigé de nombreuses barrières sur la plaine de la Ruzizi, autour des villages de Bwegera, Sange, Luberizi, Kiliba, à l’entrée d’Uvira cité (Port de Kalundu), au niveau de Makobola II (dans le territoire de Fizi) et à celui du ravin de Rushima (territoire d’Uvira). Au niveau de ces barrières, les militaires auraient trié les personnes interceptées en fonction de leur nationalité sous prétexte de préparer leur retour dans leur pays d’origine. Les personnes identifiées comme Hutu rwandais ou burundais sur la base de leur accent, de leurs caractéristiques morphologiques ou de leur habillement ont été systématiquement séparées des autres personnes interceptées et tuées dans les environs. Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 22 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué dans le ravin de Rushima, entre Bwegera et Luberizi, un groupe de près de 550 réfugiés hutu rwandais qui s’étaient enfuis des camps de Luberizi et Rwenena quelques jours auparavant. Les militaires avaient intercepté les victimes au niveau des barrières érigées dans les environs. Entre le 27 octobre et le 1er novembre 1996, sous prétexte de les rapatrier au Rwanda, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont conduit un nombre indéterminé de réfugiés supplémentaires dans le ravin de Rushima et les ont exécutés 192.
  • Au cours des jours et des semaines qui ont suivi le 25 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué un nombre indéterminé de réfugiés à un endroit appelé Kahororo, situé dans le secteur 7 de la sucrerie de Kiliba. Les victimes avaient été appréhendées dans les villages environnants193.
  • Le 29 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué environ 220 réfugiés de sexe masculin à proximité de l’église de la 8e CEPZA [Communauté des églises pentecôtistes au Zaïre], actuellement CEPAC [Communauté des églises pentecôtistes en Afrique centrale] dans le village de Luberizi. Les victimes faisaient partie d’un groupe de réfugiés à qui les militaires avaient fait croire qu’ils devaient se regrouper en vue d’être rapatriés au Rwanda. Les militaires ont séparé les hommes du reste du groupe et les ont tués à coups de baïonnettes ou par balles. Les corps des victimes ont été enterrés dans des fosses communes situées à proximité de l’église194.
  • Le 3 novembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont brûlé vifs 72 réfugiés rwandais dans la maison de la COTONCO, située à un kilomètre du village de Bwegera. Les victimes avaient été capturées dans les villages voisins. Les éléments de l’AFDL/APR/FAB avaient rassemblé les victimes dans la maison de COTONCO en leur faisant croire qu’elles allaient être ensuite rapatriées au Rwanda 195.
  • Le 13 novembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué environ 100 réfugiés burundais dans le village de Ngendo, situé à 7 kilomètres de Sange, dans le territoire d’Uvira196.
  • Le 8 décembre 1996, des militaires de l’AFDL/APR/FAB ont tué 13 réfugiés de sexe masculin dans le village de Rukogero situé à 9 kilomètres de Sange dans le territoire d’Uvira. Les victimes faisaient partie d’un groupe de 200 à 300 réfugiés qui avaient fui le camp de Kibogoye. Une fois arrêtés, les réfugiés ont été enfermés dans l’église de la 8e Les militaires ont laissé partir les femmes et les filles mais ont tué les hommes et les garçons. Les cadavres des victimes ont été jetés dans les latrines à côté de l’église197.
  • Le 12 décembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué quinze civils dans le village de Ruzia, parmi lesquels des réfugiés qui avaient fui le camp de Luberizi/Mutarule ainsi que des civils zaïrois. Les victimes ont été capturées au cours d’une opération de ratissage menée par les militaires afin de débusquer les réfugiés se cachant parmi la population zaïroise. Certaines victimes ont été brûlées vives dans une maison et d’autres ont été fusillées. Les corps des victimes ont ensuite été enterrés dans trois fosses communes198.
  • Le 22 décembre 1996 à Ruzia, au bord de la rivière Ruzizi, des militaires de l’AFDL/APR/FAB ont tué au moins 150 personnes dont une majorité de réfugiés rescapés de l’attaque sur le camp de Runingu. Les victimes se cachaient dans la forêt lorsque les militaires les ont repérées. Leurs corps ont été brûlés par les militaires deux jours après l’incident. Une autre source a avancé le nombre de 600 victimes199.
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181Office of the Regional Special Envoy of UNHCR, Kigali, Rwanda, Zaïre: UNHCR population statistics as of 26 September 1996.
182Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, octobre 2008 et avril 2009; Rapport sur la situation des droits de l’homme au Zaïre (E/CN.4/1997/6), par. 198; Document confidentiel remis en 1997/1998 à l’Équipe d’enquête du Secrétaire général; Voice of America, « Rwanda Denies Attack in Zaïre », 14 octobre 1997; IRIN « Weekly Roundup of Main Events in the Great Lakes Region », 14 – 21 octobre 1996; CNN, «Zaïre-Refugee Camps Site of New Ethnic Killing », 14 octobre 1997; The New York Times, « Refugees Flee Camp In Zaïre After Killings », 14 octobre 1997; The Independent, « Hutu Flee Gun Raiders », 14 octobre 1997.
183Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, février et avril/mai 2009; CARITAS, « Tableau synoptique relevant les cas des massacres et tueries commis par l’AFDL à l’endroit des réfugiés et populations civiles autochtones dans les zones d’Uvira et Fizi du 18 octobre 1996 au 10 avril 1997 »; Église luthérienne, Rapport d’enquête sur les violations des droits de l’homme à l’est du Congo, mai 1997, p. 9.
184Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, février et avril/mai 2009; témoignages recueillis par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998.
185Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, mars-avril 2009.
186Entretien avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, février 2009; témoignages recueillis par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998; CARITAS, « Tableau synoptique relevant les cas des massacres et tueries commis par l’AFDL à l’endroit des réfugiés et populations civiles autochtones dans les zones d’Uvira et Fizi du 18 octobre 1996 au 10 avril 1997 » p. 2.
187Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, avril 2009; Rapport sur la situation des droits de l’homme au Zaïre (E/CN.4/1997/6), par. 198; Documents confidentiels remis à l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998; CADDHOM [Collectif d’actions pour le développement des droits de l’homme], « Enquête sur les massacres des réfugiés 1998 », p. 3.
188Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, avril 2009; Rapport de l’Équipe d’enquête du Secrétaire général (S/1998/581); AI, « Loin des regards de la communauté internationale: Violations des droits de l’homme dans L’est du Zaïre », 1996, p. 4-5; Peacelink, « Les violations des droits de l’homme par l’AFDL », p. 3.
189Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, mai 2009.
190Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, avril/mai 2009; Rapport de l’Équipe d’enquête du Secrétaire général (S/1998/581); CARITAS, « Tableau synoptique relevant les cas des massacres et tueries commis par l’AFDL à l’endroit des réfugiés et populations civiles autochtones dans les zones d’Uvira et Fizi du 18 octobre 1996 au 10 avril 1997 », p. 2.
191Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, octobre 2008 et avril 2009. CARITAS, « Tableau synoptique relevant les cas des massacres et tueries commis par l’AFDL à l’endroit des réfugiés et populations civiles autochtones dans les zones d’Uvira et Fizi du 18 octobre 1996 au 10 avril 1997 », p. 2.
192Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, avril 2009; S/1998/581, Rapport de l’Équipe d’enquête du Secrétaire général (S/1998/581);; Église luthérienne, Rapport d’enquête sur les violations des droits de l’homme à l’est du Congo, mai 1997, p. 8.
193Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, avril/mai 2009.
194Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, avril/mai 2009; témoignage recueilli par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998.
195Entretien avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, mars-avril 2009; CARITAS, « Tableau synoptique relevant les cas des massacres et tueries commis par l’AFDL à l’endroit des réfugiés et populations civiles autochtones dans les zones d’Uvira et Fizi du 18 octobre 1996 au 10 avril 1997 », p. 2; Association contre la malnutrition et pour l’encadrement de la jeunesse (ACMEJ), Rapport 2009, p. 5.
196Témoignages recueillis par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998.
197Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, avril 2009; CARITAS, « Tableau synoptique relevant les cas des massacres et tueries commis par l’AFDL à l’endroit des réfugiés et populations civiles autochtones dans les zones d’Uvira et Fizi du 18 octobre 1996 au 10 avril 1997 », p. 3.
198Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, octobre 2008 et avril 2009; CARITAS, « Tableau synoptique relevant les cas des massacres et tueries commis par l’AFDL à l’endroit des réfugiés et populations civiles autochtones dans les zones d’Uvira et Fizi du 18 octobre 1996 au 10 avril 1997 », p. 3.
199Entretiens avec l’Équipe Mapping, Sud-Kivu, octobre 2008 et avril 2009; CARITAS, « Tableau synoptique relevant les cas des massacres et tueries commis par l’AFDL à l’endroit des réfugiés et populations civiles autochtones dans les zones d’Uvira et Fizi du 18 octobre 1996 au 10 avril 1997 », p. 2.