Attaques contre les réfugiés hutu en province de Maniema

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236. À compter de la fin de 1996, le Gouvernement zaïrois a massé ses forces à Kindu et Kisangani en vue de lancer une contre-offensive dans les Kivu. Les premiers réfugiés sont arrivés dans la province du Maniema début 1997 en provenance du territoire de Walikale, au Nord-Kivu. Ils se sont tout d’abord dirigés vers la ville de Kisangani mais ont été bloqués par les FAZ et détournés sur le site de Tingi-Tingi, à 7 kilomètres de Lubutu, à proximité d’un aérodrome. Au cours des semaines qui ont suivi, près de 120 000 réfugiés se sont installés dans un camp de fortune à Tingi-Tingi. Au même moment, 40 000 autres hutu rwandais, parmi lesquels une majorité d’ex-FAR/Interahamwe sont arrivés dans le village d’Amisi, à 70 kilomètres à l’est de Tingi-Tingi. Dès le début de 1997, les ex-FAR/Interahamwe ont utilisé le camp de Tingi-Tingi comme base de recrutement et d’entraînement en vue de mener une contre-offensive conjointe avec les FAZ contre les troupes de l’AFDL/APR. Une coordination très étroite s’est instaurée entre les FAZ et les ex -FAR/Interahamwe. Les FAZ ont notamment fourni aux ex-FAR/Interahamwe des armes, des munitions et des uniformes.

237. En janvier 1997, de violents combats ont opposé les militaires de l’AFDL/APR aux ex-FAR/Interahamwe pendant plusieurs semaines au niveau du pont d’Osso, à la frontière entre les provinces du Nord-Kivu et du Maniema. Le 7 février, après de violents combats dans le village de Mungele, les troupes de l’AFDL/APR ont pris le camp d’Amisi. La majorité de la population du camp avait pu fuir en direction de Lubutu et s’est installée à côté du camp de Tingi-Tingi. Les derniers affrontements entre l’AFDL/APR et les ex-FAR/Interahamwe ont eu lieu dans le village de Mukwanyama, à 18 kilomètres de Tingi-Tingi. Par la suite, les combats ont pratiquement cessé et les ex-FAR/Interahamwe se sont enfuis dans le plus grand désordre. Certains dignitaires de l’ancien régime rwandais ainsi que des réfugiés pouvant s’acquitter du prix du billet (800 dollars des États-Unis) ont pris place à bord d’avions commerciaux venus spécialement à Tingi-Tingi et sont partis pour Nairobi. Dans la soirée du 28 février, les réfugiés, ayant appris que les troupes de l’AFDL/APR se trouvaient à 10 kilomètres de Tingi-Tingi, ont quitté le camp en direction de Lubutu. Ils ont cependant été bloqués jusqu’au lendemain matin par les FAZ au niveau du pont sur la rivière Lubilinga, communément appelé « pont Lubutu ». Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Dans la matinée du 1er mars 1997, des éléments de l’AFDL/APR sont entrés dans le camp de Tingi-Tingi et ont tué sans discrimination ses derniers occupants. Bien que la plupart des réfugiés aient déjà quitté le camp, plusieurs centaines d’entre eux s’y trouvaient encore, parmi lesquels de nombreux malades soignés dans le dispensaire et des enfants non accompagnés. Selon les témoins, les troupes de l’AFDL/APR auraient tué la plupart des victimes à coups de couteau. Les corps ont ensuite été enterrés dans plusieurs charniers par des volontaires de la Croix-Rouge de Lubutu265.
  • Dans l’après midi du 1er mars 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont ouvert le feu sur les réfugiés qui se trouvaient dans la queue de la colonne en fuite vers Lubutu et en ont tué plusieurs dizaines. Le même jour, les militaires de l’AFDL/APR ont tué par balle plusieurs centaines de réfugiés qui attendaient pour traverser le pont sur la rivière Lubilinga. De nombreux réfugiés sont morts noyés en se jetant dans la rivière; d’autres sont morts piétinés par la foule en panique. Le 2 mars, les militaires de l’AFDL/APR ont demandé à la population de Lubutu d’enterrer les victimes, mais la plupart des corps ont été jetés dans la rivière266

238. Le 27 février 1997, les troupes de l’AFDL/APR sont entrées dans la ville de Kindu désertée par les FAZ. Les réfugiés ont continué leur chemin en direction de Lodja (axe ouest) ou de Kasongo (axe sud). Auparavant, un troisième groupe, beaucoup moins nombreux, avait rejoint les réfugiés au camp de Tingi-Tingi en empruntant le chemin de Punia. Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 1er mars 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué 11 religieux réfugiés hutu rwandais sur la route de Kindu, à une vingtaine de kilomètres de Kalima, dans le territoire de Pangi. Les victimes, huit abbés et trois sœurs, étaient réfugiées au Sud-Kivu depuis 1994. Ils avaient trouvé refuge à la paroisse de Kalima depuis le 22 février. Après avoir pris la ville le 23 février, les troupes de l’AFDL/APR, ont demandé aux religieux de les suivre sous prétexte de les faire rentrer au Rwanda. Le 1er mars, les religieux sont montés à bord d’un minibus envoyé par les militaires. Au cours de la soirée, ces derniers ont tué les religieux à coups de bâton. Les corps des victimes ont été ensevelis sur place267.
  • En mars 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué quelque 200 réfugiés dans les territoires de Pangi et Kasongo. Les victimes étaient pour la plupart des rescapés des massacres commis dans le territoire de Shabunda, au Sud-Kivu. Dans le camp de réfugiés ouvert près de l’aéroport de Kalima, dans le territoire de Pangi, les militaires ont tué 20 personnes au moins, principalement des femmes et des enfants qui attendaient l’arrivée de l’aide alimentaire fournie par le HCR. Dans la ville de Kalima, les militaires ont fouillé des maisons, exécuté les réfugiés qui s’y étaient cachés et battu les Zaïrois qui les avaient laissés entrer chez eux. Les militaires ont ensuite tué des réfugiés tout le long de la route entre Kalima et Kindu, notamment dans les villages de Kingombe Mungembe, Mumbuza, Kenye et Idombo. Les corps des victimes sont restés sur la route pendant plusieurs jours avant d’être enterrés par la population civile. Au cours des semaines qui ont suivi, les militaires ont continué à traquer les réfugiés dans le territoire de Kasongo. Ils en ont tué un grand nombre dans les villages de Kisanji, Sengaluji et Karubenda. Les survivants se sont, pour la plupart, dispersés dans la forêt. Les témoins ont estimé avoir vu au moins 165 corps, mais le nombre total de victimes est probablement bien supérieur à ce chiffre268.

239. Alors qu’il n’y avait plus d’affrontements entre les ex-FAR/Interahamwe/FAZ et les troupes de l’AFDL/APR, les massacres de réfugiés ont continué au cours des semaines qui ont suivi la chute de Tingi-Tingi. Les réfugiés appréhendés par les militaires de l’AFDL/APR basés à Lubutu ont été emmenés sur un site appelé Golgotha, à 3 kilomètres de Lubutu où ils ont été systématiquement exécutés. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Le 14 mars 1997, à l’occasion d’une mission conjointe, les organismes des Nations Unies et des ONG ont trouvé près de 2 000 réfugiés ayant survécu aux récents massacres errant dans les camps de Tingi-Tingi et d’Amisi. Jusqu’à la fermeture officielle de ces camps, le 2 avril, les militaires de l’AFDL/APR ont délibérément bloqué toute aide humanitaire, sanitaire et médicale destinée aux rescapés. MSF a rapporté qu’au cours de cette période la fourniture de soins médicaux aux réfugiés avait été pratiquement impossible car les autorités de l’AFDL avaient interdit ou retardé toute mission humanitaire pour des raisons de sécurité. Au cours des trois semaines qui ont suivi la prise du camp, 216 réfugiés au moins sont morts à Tingi-Tingi faute d’aide humanitaire et médicale269.

Autres attaques contre les réfugiés et populations hutu ailleurs en RDC

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265 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Maniema, mars 2009; AI, « Alliances mortelles dans les forêts congolaises », 1997, p. 5; MSF, « L’échappée forcée: une stratégie brutale d’élimination à l’est du Zaïre », avril 1997, p. 4 et 5.
266 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Maniema, mars 2009; AI, « Alliances mortelles dans les forêts congolaises », 1997, p. 5; MSF, « L’échappée forcée: une stratégie brutale d’élimination à l’est du Zaïre », avril 1997, p. 4 et 5.
267 Entretien avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008; Haki Za Binadamu, communiqué de presse no 1, 7 mars 1997; AI, « Memorandum to the UN Security Council: Appeal for a Commission of Inquiry to Investigate Reports of Atrocities in Eastern Zaïre », 24 mars 1997.
268 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Maniema, mars 2009.
269 MSF, « L’échappée forcée: une stratégie brutale d’élimination à l’est du Zaïre », avril 1997, p. 4 et 5.