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Territoire de Shabunda
207. De nombreux réfugiés hutu rescapés des camps d’Uvira et de Bukavu ont tenté de fuir en passant par le territoire de Shabunda. Ces réfugiés ont pris l’ancienne route reliant Bukavu à Kindu en passant par les villages de Chimanga, Kingulube, Katshungu et Shabunda, situés respectivement à 71, 181, 285 et 337 kilomètres à l’est de Bukavu. Vers la mi-décembre 1996, 38 000 réfugiés étaient enregistrés dans trois camps de fortune dans les environs de Shabunda: Makese I, Makese II et Kabakita (connus aussi sous le nom de Kabakita I, Kabakita II et Kabakita III). Un nombre indéterminé de ces réfugiés, souvent les retardataires, ont été tués par les militaires de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo)/APR (Armée Patriotique Rwandaise) sur la route de Shabunda. Des massacres ont été rapportés dans les villages de Mukenge, Baliga et Kigulube en janvier 1997. Dans la région, quelques combats sporadiques ont eu lieu entre des militaires de l’AFDL/APR, des FAZ battant en retraite. Les victimes des éléments de l’AFDL/APR étaient pour la plupart des civils non armés212. L’incident allégué suivant a été documenté :
- Le 5 février 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué environ 500 réfugiés au niveau du pont métallique sur la rivière Ulindi à Shabunda, à 9 kilomètres de Shabunda-centre. La plupart des victimes étaient des réfugiés qui avaient fui les camps de Kabakita I, II et III à l’approche des militaires. Après le massacre, les villageois ont été forcés de jeter les corps dans la rivière et de nettoyer le pont. Les militaires ont emmené de force les rescapés en direction de Kabatika puis les ont exécutés le lendemain213
208. Les réfugiés qui ont pu s’enfuir à temps ont pris la direction de Kindu. D’autres ont cherché à partir en direction de Bukavu après avoir appris que le HCR avait ouvert une antenne à Kigulube. Plusieurs milliers de réfugiés ont pris cette direction en circulant dans la forêt par petits groupes de 50 à 100 personnes. Depuis janvier 1997, les militaires de l’AFDL/APR contrôlaient la zone et ils avaient érigé de nombreuses barrières le long des principaux axes routiers. Entre les mois de février et d’avril 1997, des éléments de l’AFDL/APR auraient tué systématiquement les réfugiés passant par le village de Kigulube, les forêts environnantes et sur les 156 kilomètres de route séparant Kigulube et la cité de Shabunda.
209. Lorsqu’ils interceptaient des réfugiés à Kigulube, les militaires de l’AFDL/APR leur demandaient généralement de les suivre sous différents prétextes, notamment afin de les aider à pousser leur véhicule jusqu’à Mpwe. En cours de route, ils les auraient tué à coups de machette ou de couteau. En dépit des ordres donnés aux villageois de récupérer les corps des réfugiés, les ONG internationales et les témoins locaux ont pu observer sur les routes autour de Kigulube la présence de nombreux cadavres et de squelettes ainsi que des effets personnels ayant appartenu aux réfugiés. À plusieurs reprises, des membres d’organisations internationales ont assisté à des opérations de nettoyage entre Shabunda et Kigulube et conclu à la présence de fosses communes aux abords des cimetières de plusieurs villages et au niveau de plusieurs sites isolés le long de la route. Le nombre total de victimes est difficile à estimer mais il se chiffre à plusieurs centaines, voire plus d’un millier214. Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
- Dans la soirée du 13 février 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué, à coups de machette, entre 70 et 180 réfugiés dans la localité de Mpwe, sur la route menant au village de Kigulube. Après avoir rassemblé les réfugiés, les militaires leur ont dit qu’ils étaient venus pour régler le « problème » existant entre les Hutu et les Tutsi au Rwanda. Ils ont ensuite proposé aux réfugiés de se reposer et de manger quelque chose pour reprendre des forces avant de reprendre la route pour Kigulube. Enfin, ils les ont conduits par petits groupes dans une maison où ils lesont tués. Ceux qui ont tenté de s’enfuir avant d’être conduits dans la maison ont été tués par balles. Les corps des victimes ont pour la plupart été enterrés dans une fosse commune située derrière cette maison215.
- Le 15 février 1997 des éléments de l’AFDL/APR ont tué près de 200 réfugiés sur deux sites situés respectivement à quatre et sept kilomètres de Kigulube. Un groupe d’une soixantaine de réfugiés a notamment été enfermé dans une maison que les militaires ont ensuite incendiée. Les corps des victimes ont été jetés dans des fosses communes216.
- Le 30 mars 1997 et au cours des jours suivants, des éléments de l’AFDL/APR ont tué, en présence de plusieurs hauts responsables de l’APR, plusieurs centaines de réfugiés entre Katshungu et Shabunda dans les localités d’Ivela, Balika, Lulingu, Keisha et au niveau du pont Ulindi. Les victimes, parmi lesquelles se trouvaient un grand nombre de femmes et enfants étaient pour la plupart des rescapés du camp de Chimanga qui avaient trouvé refuge à Katshungu, une localité située à 54 kilomètres au nord-ouest de Shabunda. La zone des massacres est restée officiellement inaccessible pendant plusieurs jours aux organisations humanitaires mais celles-ci ont pu malgré tout observer la conduite d’opérations de nettoyage ainsi que la présence tout le long de la route d’ossements et d’affaires ayant appartenu aux réfugiés217.
- Au cours du premier trimestre 1997, de nombreux réfugiés sont morts d’épuisement et de faim au cours de leur trajet entre Kigulube et Shabunda. Menacés d’extermination à tout moment, ces populations étrangères au milieu et sous-alimentées n’ont pas reçu d’aide humanitaire. Après avoir interdit aux humanitaires de circuler au-delà d’un périmètre de 30 kilomètres autour de Bukavu, les responsables de l’AFDL/APR leur ont imposé la présence de facilitateurs appartenant à l’AFDL au cours de chacune de leur mission. Selon plusieurs témoins, ces facilitateurs en ont profité des missions des humanitaires pour fournir aux militaires de l’AFDL/APR des informations concernant la localisation et les mouvements de réfugiés. Ces derniers ont pu ainsi tuer les réfugiés avant qu’ils ne puissent être récupérés et rapatriés. Au cours de la même période, les militaires de l’AFDL/APR ont formellement interdit aux civils zaïrois vivant dans la région de porter secours aux réfugiés. Les militaires ont ainsi tué un nombre indéterminé de Zaïrois qui avaient aidé directement les réfugiés ou qui avaient collaboré avec les ONG internationales et les organismes des Nations Unies afin de les localiser et de pouvoir leur apporter une assistance. Le nombre total de réfugiés morts de faim, d’épuisement ou de maladie dans cette partie du Sud-Kivu est impossible à déterminer mais il s’élève probablement à plusieurs centaines voire plusieurs milliers218
210. Les tueries et les violations graves des droits de l’homme à l’encontre de réfugiés rwandais et burundais se sont poursuivies bien après la conquête militaire de la province par les troupes de l’AFDL/APR/FAB. L’incident allégué suivant a été documenté :
- Entre le 26 et le 29 avril 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont enlevé, détenu arbitrairement et torturé une cinquantaine de mineurs hutu rwandais ainsi que neuf réfugiés adultes dans les environs de l’aéroport de Kavumu, dans le territoire de Kabare. Les victimes se trouvaient au centre de traitement pour enfants réfugiés de Lwiro lorsqu’elles ont été enlevées le 26 avril, entre 4 et 5 heures du matin. Elles ont été torturées puis acheminées en bus vers l’aéroport de Kavumu où elles ont été placées dans un container et de nouveau torturées et soumises à des actes cruels, inhumains et dégradants. Les militaires ont également battu le personnel médical du centre de Lwiro au motif qu’ils avaient accepté de soigner des réfugiés. Le 29 avril, suite à de fortes pressions internationales, les victimes ont été remises au HCR. Les victimes ont signalé qu’il y avait de nombreux autres containers sur l’aéroport et qu’ils étaient utilisés par les militaires pour torturer les réfugiés219.