Qualification Juridique des Actes de Violence – Crime de génocide

Commission d’un acte énuméré, intention de détruire & Preuve de l’ intention de détruire

L’existence ou non de crimes de génocide commis à l’égard des Hutu en RDC, réfugiés ou autres

 

Définition et éléments

500. Depuis sa première formulation, en 1948, à l’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la définition du crime est demeurée sensiblement la même. On la trouve à l’article 6 du Statut de Rome de la CPI, qui définit le crime de génocide « comme l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Cette définition est suivie d’une série d’actes qui représentent de graves violations du droit à la vie et à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe. La Convention prévoit également que sont punissables non seulement l’exécution en tant que telle, mais aussi l’entente en vue de commettre le génocide, l’incitation directe et publique, la tentative et la complicité925. C’est l’intention spécifique de détruire un groupe mentionné en tout ou en partie qui distingue le crime de génocide du crime contre l’humanité.

501. Essentiellement, le crime de génocide exige la preuve de deux éléments distincts:

a) La commission d’un acte énuméré (tel que le meurtre ou une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale);
b) À l’encontre d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux;
c) Dans l’intention spécifique de détruire en tout ou en partie, le groupe protégé, comme tel.

1. Actes énumérés

502. Parmi les cinq actes énumérés dans la définition du crime de génocide, retenons les trois suivants qui ressortent de l’inventaire des incidents des chapitres précédents:

  • Meurtre de membres du groupe;
  • Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
  • Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle.

2. Commis à l’encontre d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux

503. Les victimes doivent appartenir à un groupe national, ethnique, racial ou Par « groupes nationaux », il faudrait entendre les personnes qui possèdent une identité distincte en termes de nationalité ou d’origine nationale. Les « groupes ethniques » comprendraient les personnes partageant une même langue et ayant des traditions communes ou un patrimoine culturel commun926. C’est toutefois une définition effective des groupes, qui tient compte plus du sentiment d’appartenance à un groupe spécifique que de son existence propre qui a été retenue par les tribunaux qui ont appliqué le critère subjectif de la perception par les autres et de l’autoperception en ce qui concerne l’appartenance au groupe927.

3. Dans l’intention spécifique de détruire, en tout ou en partie, le groupe protégé comme tel

504. L’intention spécifique de détruire, en tout ou en partie, le groupe protégé comme tel constitue l’élément clef du crime de génocide souvent décrit comme un crime d’intention requérant un dol criminel aggravé (dolus specialis)928. On peut diviser ce second élément en trois parties distinctes: d’abord l’intention de détruire, ensuite en tout ou en partie, et finalement le groupe comme tel.

505. L’intention de détruire suppose que l’auteur ait sciemment voulu que les actes prohibés entraînent la destruction, en tout ou en partie, du groupe comme tel, et ait su que ses actes détruiraient, en tout ou en partie, le groupe comme tel929. Elle implique que l’auteur du crime doit avoir agi avec l’intention spécifique de détruire un groupe protégé en tout ou en partie. L’intention n’est pas synonyme de motivation. Le mobile personnel du génocidaire peut, par exemple, être la perspective d’un profit économique personnel, d’avantages politiques ou d’une certaine forme de pouvoir. L’existence d’un mobile personnel n’empêche pas que l’auteur soit également animé de l’intention spécifique de perpétrer un génocide930.

506. L’intention de détruire le groupe énuméré, même en partie, est suffisante pour constituer un crime de génocide pour autant que ce soit le groupe ou « la fraction distincte du groupe » qui soit visé(e) et « non une multitude d’individus isolés appartenant au groupe »931. De plus, la partie du groupe ciblée doit être substantielle et ainsi refléter « tant le caractère massif du génocide que la préoccupation exprimée dans la Convention quant à l’impact que la destruction de la partie visée du groupe aurait sur la survie du groupe tout entier ».932. Le caractère substantiel s’établit en considération « non seulement de l’importance numérique de la fraction du groupe visée mais aussi de sa place au sein du groupe tout entier »933.

507. Finalement c’est le groupe comme tel que l’on doit avoir l’intention de détruire en tout ou en partie. Ainsi les victimes « doivent être ciblées en raison de leur appartenance à un groupe »934; c’est donc le groupe comme tel qui est visé à travers la victime.

508. La preuve de l’intention de détruire un groupe comme tel, en tout ou en partie, élément clef du génocide, est certes l’élément qui pose le plus de difficultés. Si en général en droit pénal l’intention fait rarement l’objet d’une preuve directe, mais découle plutôt d’une inférence que l’on tire des faits et des circonstances du crime, la preuve d’une intention spécifique, d’un « dolus specialis », est encore plus exigeante en ce qu’elle doit établir l’existence du but spécifique qu’avait l’auteur en commettant le crime. Bien évidemment, en matière de génocide, considéré comme le « crime des crimes », toute inférence de l’intention de détruire un groupe en tout ou en partie doit se faire avec une très grande prudence935. Comme le disait la Chambre d’appel du TPIY: « Le génocide est l’un des crimes les plus odieux qui soient, et sa gravité a pour corollaire l’exigence stricte d’une intention spécifique. Un accusé ne peut être déclaré coupable de génocide que si cette intention est clairement établie936». De même, pareille inférence ou déduction de l’existence d’une telle intention de l’accusé « doit être la seule raisonnable possible compte tenu des éléments réunis »937.

Parmi les facteurs, faits et circonstances retenus par les tribunaux internationaux pour inférer ou déduire une intention génocidaire on retiendra: le contexte général, la perpétration d’autres actes répréhensibles systématiquement dirigés contre le même groupe938, l’ampleur et le nombre des atrocités commises939, le fait de viser certaines victimes systématiquement en raison de leur appartenance à un groupe particulier, le fait que les victimes avaient été massacrées sans regard pour leur âge ni leur sexe940, la manière cohérente et méthodologique de la commission des actes941, l’existence d’un plan ou d’une politique génocidaire et la récurrence d’actes destructifs et discriminatoires942.

L’existence ou non de crimes de génocide commis à l’égard des Hutu en RDC, réfugiés ou autres

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925 Article 3 de la Convention pour la répression et la suppression du crime de génocide.
926 Rapport de la Commission internationale d’enquête sur le Darfour (voir S/2005/60), par. 494.
927 Ibid., par. 498 à 501; voir Akayesu, ICTR-96-4-T, Chambre de première instance, 1er et 2 septembre 1998, par. 170 à 172; Kayishema et Ruzindana, ICTR-95-1-T, Chambre de première instance, 2 et 21 mai 1999, par. 98; Musema, ICTR-96-13-T, Chambre de première instance, 21 janvier 2000, par. 161; Rutaganda, ICTR-96-3-T, Chambre de première instance, 6 décembre 1999, par. 56; et Jelisić, TPIY, Chambre de première instance, no IT-95-10-T, 14 décembre 1999, par. 70 et 71; Krstić TPIY, Chambre de première instance, no IT-98-33-T, 2 août 2001, par. 556, 557, 559 et 560.
928 Voir en général l’Affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzegovine c. Serbie et Montenegro), CIJ, 26 février 2007, par. 186 à 201, (ci-après CIJ, décision sur le génocide).
929 Rapport de la Commission internationale d’enquête sur le Darfour (voir S/2005/60), par 491.
930 Arrêt Jelisić, TPIY, Chambre d’appel, no IT-95-10-A, 5 juillet 2001, par. 49; CIJ, décision sur le génocide, par. 189: « Il convient aussi de distinguer l’intention spécifique d’autres raisons ou mobiles que pourrait avoir l’auteur ».
931 Arrêt Brdanin, TPIY, Chambre de première instance, no IT-99-36-T, 1er septembre 2004, par. 700.
932Arrêt Krstić, TPIY, Chambre d’appel, no IT-98-33-A, 19 avril 2004, par. 8; voir également Krstić, TPIY, Chambre de première instance,no IT-98-33-T, 2 août 2001, par. 590: « La destruction physique peut ne viser qu’une partie géographiquement limitée d’un groupe plus vaste, parce que les auteurs du génocide considèrent que la destruction envisagée suffit à annihiler le groupe en tant qu’entité distincte dans la zone géographique en question »; confirmé par la Chambre d’appel, Arrêt du 19 avril 2004, par. 6 à 23; CIJ, décision sur le génocide, par. 198 à 2001.
933 Ibid. par. 9. Voir en général CIJ, décision sur le génocide, par. 198 à 201.
934 Krstić, TPIY, Chambre de première instance, no IT-98-33-T, 2 août 2001, par. 561
935 « Il faut prendre le plus grand soin pour conclure, à partir des faits, à une manifestation suffisamment claire de cette intention. » CIJ, décision sur le génocide, par. 189.
936 Arrêt Krstić, TPIY, Chambre d’appel, no IT-98-33-A, 19 avril 2004, p. 134.
937 Ibid, par. 41.
938 Arrêt Jelisić, TPIY, Chambre d’appel, no IT-95-10-A, 5 juillet 2001, par. 47.
939 Voir Akayesu, ICTR-96-4-T, Chambre de première instance, 1er et 2 septembre 1998, par.730.
940 Kayishema et Ruzindanda, ICTR-95-1-T, Chambre de première instance, 2 et 21 mai 1999, par. 531 à 533.
941 Ibid.
942 Arrêt Jelisić, TPIY, Chambre d’appel, no IT-95-10-A, 5 juillet 2001, par. 47 et 48.