Résumé Exécutif > IV. Formulation d’options en matière de mécanismes de justice transitionnelle qui pourraient contribuer à la lutte contre l’impunité en RDC
54. Le mandat confié à l’Équipe Mapping en matière de justice transitionnelle consistait à présenter diverses options pour aider le Gouvernement de la RDC à traiter des graves et nombreuses violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises sur son territoire sur le plan « de la vérité, de la justice, des réparations et de la réforme »48.
Ce mandat faisait également écho aux demandes formulées à ce sujet par la société congolaise à l’endroit de ses dirigeants, d’abord au cours du Dialogue intercongolais qui s’est conclu avec l’Accord global et inclusif sur la transition en RDC de Sun City (Afrique du Sud) en 200249 et, par la suite, lors de la Conférence sur la paix, la sécurité et le développement, tenue en janvier 2008 au Nord-Kivu et au Sud-Kivu. Ce mandat a également reçu un ferme appui du Conseil de sécurité qui a demandé à la MONUC « d’aider [le Gouvernement] à élaborer et appliquer une stratégie en matière de justice transitionnelle »50.
55. Pour mener à bien cet objectif, l’Équipe Mapping a examiné les expériences récentes de la RDC en matière de justice transitionnelle et a procédé à l’identification des défis existant dans ce domaine, notamment à la lumière des conclusions tirées de l’évaluation du système judiciaire exposées dans le présent rapport. L’expérience de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) qui a opéré en RDC pendant la transition et les réformes en cours du secteur de la justice et de la sécurité a ainsi été passée en revue. De plus des consultations avec des experts congolais, notamment les autorités judiciaires et les représentants des Ministères de la justice et des droits humains, des experts internationaux dans ce domaine, des spécialistes des droits de l’homme et du droit pénal interne et international et des associations de victimes ont été menées. Convaincus de la nécessité d’une appropriation nationale des mesures de justice transitionnelle pour en garantir l’efficacité, plusieurs tables rondes ont également été organisées afin de recueillir les vues et opinions de la société civile à ce sujet.51
56. Les options de justice transitionnelle formulées dans le présent rapport rendent largement compte des divers points de vue exprimés par les acteurs congolais et internationaux consultés et s’inspirent d’autres études relatives aux attentes des victimes en termes de justice transitionnelle ainsi que des données de terrain rapportées par les membres de l’Équipe. Finalement les options formulées en matière de justice transitionnelle s’inscrivent dans le cadre des efforts actuellement déployés pour réhabiliter le système judiciaire, réformer le droit congolais et instaurer de nouvelles institutions favorisant un plus grand respect des obligations internationales de la RDC en matière de justice et de lutte contre l’impunité.
57. En raison des nombreux défis qui se dressent dans la quête de justice pour les crimes commis en RDC, l’adoption d’une politique holistique de justice transitionnelle qui s’appuierait sur la création de mécanismes divers et complémentaires, judiciaires et non judiciaires, s’avère cruciale. Il y a lieu d’élaborer une stratégie basée sur une vision d’ensemble des violations avérées, de leur cadre temporel et des principales catégories de victimes. À ce titre, le présent rapport pourrait constituer l’une des bases de réflexion de la société civile et du Gouvernement congolais ainsi que de leurs partenaires internationaux. Cette stratégie doit envisager une complémentarité entre différents mécanismes, déjà disponibles ou à mettre en place, qui auront chacun une vocation particulière en matière de vérité, de justice, de réparation et de réhabilitation des victimes, de réforme des institutions de justice et de sécurité, y compris des mesures d’assainissement (vetting) des forces de sécurité et de l’armée, de réconciliation, voire de reconstruction de la vérité historique. Ces mécanismes sont complémentaires et non exclusifs. Parmi les nombreux pays qui ont jeté un regard sur leur passé, marqué par la dictature, des conflits armés et la commission de crimes graves et à grande échelle, la plupart ont eu recours à plusieurs types de mesures de justice transitionnelle, mises en œuvre simultanément ou initiées de façon progressive afin de restaurer les victimes dans leurs droits et leur dignité, de garantir la non- répétition des violations des droits de l’homme, de consolider la démocratie et une paix durable et de jeter les bases d’une réconciliation nationale.
Mécanismes judiciaires:
58. La RDC ne peut échapper aux obligations qui lui incombent en vertu du droit international, à savoir poursuivre les crimes internationaux commis sur son territoire, non plus qu’elle ne peut ignorer les nombreuses victimes congolaises qui ne cessent de réclamer justice pour les dommages subis. La décision de choisir quel mécanisme judiciaire serait le plus approprié pour traiter de ces possibles crimes revient exclusivement au Gouvernement congolais qui doit prendre en compte les demandes de la société civile congolaise. À cet effet, un processus de consultation aussi large que possible devrait être mis en place par le Gouvernement, avec le soutien de la communauté internationale.
59. Commises sur une vaste échelle, pendant plus de dix ans de conflits et prétendument par différents groupes armés de RDC et d’ailleurs, les violations qui pourraient atteindre le seuil des crimes internationaux sont potentiellement tellement nombreuses qu’aucun système judiciaire fonctionnant au mieux de ses capacités ne pourrait traiter autant de cas. Les crimes graves et leurs auteurs se comptent par dizaines de milliers, leurs victimes par centaines de milliers. En pareil cas, il importe d’établir un ordre de priorité en matière de poursuites pénales et de se concentrer sur « ceux qui portent la plus grande responsabilité ». Or la poursuite des « personnes les plus responsables » exige une justice indépendante, capable de résister aux interventions politiques et autres, ce qui n’est certes pas le cas du système judiciaire congolais actuel, dont l’indépendance demeure gravement compromise et malmenée.
60. En soi, l’apparente nature généralisée et systématique des crimes commis pose également un défi. Pareils crimes exigent des enquêtes complexes qui ne peuvent se faire sans d’importantes ressources matérielles et humaines. Dans certains cas, une expertise spécifique, tant au niveau des enquêtes que de la magistrature peut s’avérer indispensable. Or, le manque de ressources à la disposition des juridictions congolaises, les rend incapable de mener à bien leur mandat en matière de crimes internationaux. Le renforcement et la réhabilitation du système judiciaire interne est également primordial.
61. Face à ces constats, le rapport conclut qu’un mécanisme judiciaire mixte52 – composé de personnel international et national – serait le plus approprié pour rendre justice aux victimes de violations graves. Qu’elles soient internationales ou nationales, les modalités de fonctionnement et la forme exacte d’une telle juridiction devraient être décidées et détaillées par une consultation des acteurs concernés, y compris des victimes, notamment en ce qui concerne leur participation au processus, pour conférer au mécanisme adopté crédibilité et légitimité. Qui plus est, avant de déployer des moyens et des acteurs internationaux, une planification rigoureuse est requise et une évaluation précise des capacités matérielles et humaines disponibles au sein du système judiciaire national sera nécessaire.
62. Pour cela il est indispensable de s’assurer du respect de certains grands principes pour garantir l’efficacité du mécanisme et remédier au manque de capacité, d’indépendance et de crédibilité, notamment:
- Un effort financier important et un engagement gouvernemental clair;
- des garanties d’indépendance et d’impartialité. La meilleure façon d’atteindre ces objectifs serait de confier aux acteurs internationaux (juges, magistrats, procureurs et enquêteurs) des rôles clés dans les différentes composantes du mécanisme;
- Apporter une attention particulière, notamment en terme de procédure, aux violences spécifiques, en particulier les violences sexuelles, commises à l’encontre des femmes et des enfants.
63. Pareil mécanisme devra également53:
- Appliquer le droit pénal international relatif aux crimes internationaux, y compris sur la responsabilité des supérieurs pour les actes commis par leurs subordonnés;
- Prévoir la non-validité devant ce mécanisme d’une quelconque amnistie qui aurait été octroyée pour des crimes internationaux;
- Exclure la juridiction des tribunaux militaires en cette matière;
- Avoir compétence sur toutes les personnes accusées d’avoir commis ces crimes, nationaux ou étrangers, civils ou militaires, et qui au moment desdits crimes avaient 18 ans ou plus;
- S’assurer du respect de toutes les garanties judiciaires à un procès juste et équitable, notamment les droits fondamentaux des accusés;
- Prévoir un mécanisme d’assistance juridique aux accusés et aux victimes;
- Prévoir des mesures de protection des témoins et, au besoin, du personnel judiciaire qui pourraient être menacés ou intimidés;
- Ne pas prévoir la peine capitale, en conformité avec les principes internationaux;
- S’assurer la coopération des États tiers, des Nations Unies et des ONG qui pourraient soutenir les activités de ce mécanisme, notamment en matière de défense.
64. En soi, un tribunal mixte ne règlera pas la difficulté posée par la participation présumée des forces et groupes armés étrangers dans les vagues de violence qui ont déferlé sur le pays. Plusieurs incidents répertoriés contiennent des allégations multiples qui engageraient la responsabilité des forces et groupes armés étrangers à la RDC. Or, la responsabilité des commandants, des commanditaires et des donneurs d’ordre étrangers pourrait s’avérer impossible à établir sans l’assistance des autorités des pays concernés. À cet égard, rappelons que dès 2001 le Conseil de sécurité avait rappelé aux États de la région impliqués dans le conflit armé leurs obligations internationales « de traduire les responsables en justice et de permettre… que ceux qui auraient commis des violations du droit international humanitaire aient à en répondre »54. Ainsi, des auteurs présumés peuvent être poursuivis sur la base de la compétence universelle par des États tiers, de la région ou non, pour les crimes commis en RDC, comme cela a déjà été le cas, bien que trop rarement55. Une telle possibilité doit être encouragée.
Commission Vérité et Réconciliation (CVR):
65. L’ampleur et la nature systématique ou généralisée des crimes prétendument perpétrés contre des groupes vulnérables, femmes, enfants et réfugiés sans défense, force à s’interroger sur les raisons d’un tel déchaînement de violence, sur l’existence d’une politique délibérée de s’attaquer à certaines catégories de personnes pour des motifs ethniques, politiques ou liés à la nationalité. L’utilisation systématique de la violence sexuelle qui perdure encore aujourd’hui doit être examinée de façon particulière. Des motifs économiques liés entre autres à l’occupation des terres et à l’exploitation illégale des ressources naturelles doivent également être considérés. Pareilles questions ne sauraient trouver de réponses satisfaisantes devant un tribunal seul, qui examinerait avant tout la responsabilité individuelle des auteurs présumés sans chercher à comprendre l’ensemble du conflit, sa genèse et ses raisons profondes. En soi, un mécanisme judiciaire ne peut poser qu’un regard limité, voire parcellaire, sur tant de violence, et ne traiter que d’un nombre restreint de cas, sans prendre en charge ni les besoins de la majorité des victimes ni leur soif de vérité.
66. Malgré la grande déception des victimes vis-à-vis de l’échec de la première CVR en RDC, la demande de vérité et d’une nouvelle commission reste très forte dans le pays. Dans son discours de clôture de la Conférence de Goma en février 2008, le Président Kabila a d’ailleurs accueilli favorablement la demande de création d’une nouvelle CVR56.
67. À cette fin, pour éviter les erreurs du passé, un sérieux et vaste processus de consultation de la population doit être engagė, dans un climat non politisé, afin que l’action de la CVR repose sur des bases et un mandat crédibles dont elle aura besoin pour pouvoir établir la vérité, proposer des mesures de réparation et de réformes institutionnelles. En ce sens, il importe que des efforts soient consentis pour aider les victimes à s’organiser entre elles de telle sorte qu’elles soient mieux préparées à contribuer au processus de consultation et à l’établissement d’un mécanisme de vérité.
68. Bien qu’il n’existe pas de modèle préconçu ou type pour un mécanisme de vérité, il est possible, à la lumière de l’expérience de la première CVR en RDC et du contexte congolais, de poser certains principes de base qui devraient permettre de surmonter certains des défis identifiés précédemment:
- Nécessité d’une large consultation: Absent de la première CVR et du nouveau projet déposé au Parlement, un processus consultatif impliquant victimes et partenaires de la société civile paraît indispensable pour définir les paramètres de base d’un futur mécanisme, assurer par la suite une bonne compréhension de son fonctionnement et le rendre crédible et légitime aux yeux de la population;
- Un mandat réaliste et précis: Face aux nombreux conflits qui ont sévi en RDC, le mandat devrait être limité aux périodes de l’histoire qui ont donné lieu aux plus graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Certains groupes particulièrement touchés par les violences en RDC, notamment les femmes, les enfants ou certaines minorités et communautés ethniques, politiques ou nationales, devraient faire l’objet d’une attention particulière;
- Délimitation du mandat: La multiplication des divers mandats confiés à la première CVR en RDC a contribué à son échec. Ainsi une CVR ne peut se substituer à un organe de médiation ou à un mécanisme de réparation57, bien qu’elle puisse bien sûr formuler des recommandations pertinentes à ces égards;
- La composition de la CVR: Le processus de sélection, la crédibilité, l’indépendance et la compétence des membres de tout nouveau mécanisme de vérité pour la RDC détermineront dans une très large mesure sa légitimité, le soutien dont elle bénéficiera et ultimement son succès ou son échec58. La possibilité de nommer des membres internationaux dans la commission devrait aussi être explorée, vu le climat de méfiance qui persiste en RDC (de la part de la population civile et entre les différentes parties envers les autorités);
- Les pouvoirs de la Commission: Il est primordial que le mécanisme mis en place puisse disposer des pouvoirs d’interroger des témoins, de les faire comparaître, de les protéger, de garantir que leur témoignage ne pourra pas être utilisé contre eux dans une procédure judiciaire, d’obtenir la pleine coopération des autorités, etc. Les prérogatives d’octroyer des amnisties aux auteurs repentants doivent être compatibles avec les principes du droit international en ce domaine et ne pas s’appliquer aux crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de génocide et autres violations graves des droits de l’homme.
- Le contenu du rapport final : Un mécanisme de vérité devrait être en mesure de pouvoir au moins faire des recommandations sur des mesures de réparation et d’indemnisation des victimes, sur des réformes institutionnelles, notamment dans les secteurs de la justice et des forces de sécurité, pour éviter que de telles violations se produisent à l’avenir et, le cas échéant, en recommander la sanction.
69. Le succès d’un nouveau mécanisme de vérité reste fortement tributaire d’un engagement ferme du Gouvernement de confronter le passé et de sa conviction que l’établissement de la vérité est une condition essentielle à une transition paisible vers un pays où règne la primauté du droit. Tout effort de la société civile et de la communauté internationale sera inutile sans cet engagement du Gouvernement.
Réparations
70. Le droit des victimes de violations graves des droits de l’homme à la réparation est inscrit dans de nombreux traités internationaux59. Il est lié au droit au recours prévoyant que toute victime ait la possibilité, pour obtenir réparation, d’exercer un recours facilement accessible, prompt et efficace, que ce soit par voie pénale, civile, administrative ou disciplinaire. Des centaines de milliers de victimes ont subi des dommages moraux et matériels suite aux terribles violences qu’elles ont subies. Elles ont droit à réparation. Le droit à réparation doit couvrir l’intégralité des préjudices subis par la victime et peut prendre plusieurs formes possibles: la restitution, l’indemnisation, la réadaptation, la satisfaction et les garanties de non renouvellement des violations par l’adoption de mesures appropriées.
71. Une approche globale et créative à la question des réparations est clairement nécessaire. Même s’il apparaît que les réparations collectives peuvent paraître plus faciles à mettre en place, des réparations individuelles devraient malgré tout être envisagées dans certains cas, surtout dans les cas où les conséquences des violations continuent à peser lourdement sur la vie des victimes.
72. Le Gouvernement congolais doit contribuer au premier chef à un programme de réparations. Certes, cette contribution doit être proportionnelle aux capacités budgétaires réelles de l’État, mais un effort adéquat démontrera que l’État reconnaît cette obligation juridique et morale, donnera un signal politique clair sur sa volonté d’aider les victimes et stimulera les contributions des autres partenaires internationaux au programme. Les pays tiers dont la responsabilité internationale est engagée pour violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire ont également l’obligation de payer des réparations à l’État sur le territoire duquel les actes ont été commis et les dommages subis, tel que dans le cas de l’Ouganda60. Cette obligation, qui trouve sa source en droit international coutumier, existe indépendamment d’un jugement de la Cour internationale de Justice (CIJ). Elle doit être respectée. Toute somme saisie des auteurs de crimes internationaux commis en RDC, quelle que soit leur nationalité ou l’autorité judiciaire qui a procédé à la saisie, pourrait également être versée à pareil mécanisme de réparation. Il serait même possible d’envisager la poursuite de certaines compagnies privées, nationales ou étrangères ou étatiques qui auraient illégalement acheté les ressources naturelles et qui auraient contribué aux violations en RDC, en vue d’obtenir des compensations qui seraient versées à un mécanisme de réparation.
73. La question la plus importante à résoudre pour tout mécanisme de réparation est celle de la détermination des bénéficiaires d’un tel programme. Plusieurs critères peuvent être utilisés pour circonscrire la portée d’un programme et toucher ceux qui ont le plus souffert et qui ont le plus grand besoin d’assistance, sans pour autant banaliser les souffrances des autres victimes. La gravité de la violation, ses conséquences sur la santé physique ou mentale des victimes, la stigmatisation, l’éventuelle répétition des violations dans le temps et la situation socio-économique actuelle des victimes représentent tous des critères valables.
74. Ainsi, puisqu’une approche exclusivement judiciaire exigeant l’établissement des responsabilités des auteurs présumés ne permettra jamais aux victimes de recevoir pleine satisfaction, et compte tenu des limitations du système judiciaire par rapport au nombre de crimes commis et de leurs victimes, des alternatives à la voie judiciaire doivent être explorées, telles que le Fonds au profit des victimes de la CPI, actif en RDC, qui a développé de nouvelles approches en matière de réparations.
75. Le rapport conclut qu’une agence nationale, une commission pour les réparations ou un fonds d’indemnisation, qui aurait exclusivement pour mandat l’élaboration et la mise en œuvre d’un programme d’indemnisation pour les victimes des conflits en RDC, constituerait le mécanisme le plus approprié pour relever le défi de la question des réparations. Cet organe devrait bénéficier d’une indépendance et de prérogatives suffisantes pour définir et identifier des catégories de victimes ayant droit à différentes formes de réparations, à accorder à titre individuel et à titre collectif. Il devrait mettre en place des procédures relativement simples, gratuites et bien adaptées aux victimes pour faciliter l’accessibilité et l’efficacité qui fait souvent défaut aux instances purement judiciaires.
Réformes
76. Une des finalités de la politique de justice transitionnelle est la mise en place de garanties de non-répétition des violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises dans le passé. Réformer les institutions qui ont commis les violations ou qui n’ont pas joué le rôle institutionnel qui leur incombe pour empêcher ces violations est souvent primordial pour atteindre ce but. Ces réformes sont manifestement d’une grande pertinence en RDC, le présent rapport ayant exposé à plusieurs reprises la responsabilité présumée directe ou indirecte des services de sécurité zaïrois, puis congolais dans les violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre 1993 et 2003 et qui perdurent sur le territoire de la RDC. Si tous les mécanismes de justice transitionnelle sont importants, il faut insister sur le fait que la réforme des institutions est certainement la démarche qui aura le plus d’impact à long terme pour obtenir la paix et la stabilisation du pays et qui offrira aux citoyens les meilleures protections contre le non renouvellement des violations.
77. Parmi les réformes visant la non-répétition des crimes, les plus cruciales et urgentes sont celles portant sur l’amélioration du système judiciaire, l’adoption d’une loi de mise en œuvre du Statut de Rome et l’assainissement des services de sécurité (vetting). Plusieurs réformes du système judiciaire sont en cours et méritent d’être soutenues. Elles visent à appuyer le renforcement des capacités du système judiciaire, notamment par la réforme de la législation pénale, le déploiement de l’administration judiciaire sur toute l’étendue du pays et la requalification des juges et du personnel judiciaire.
78. En matière de répression et de prévention des crimes internationaux, la RDC s’est engagée, en ratifiant le Statut de Rome, à poursuivre les auteurs des crimes énoncés dans le Statut et de prévoir dans sa législation nationale toutes les formes de coopération avec la Cour. Ce projet de loi, conforme en tous points aux obligations internationales de la RDC, est d’une importance capitale et le Parlement devrait l’adopter sans plus tarder.
Vetting
76. Comme pour le secteur de la justice, des processus de réforme des forces de sécurité, notamment de la police et de l’armée, ont été entrepris au début de la transition. Toutefois il est regrettable que la justice transitionnelle n’ait été nullement prise en compte dans ces processus. Un mécanisme important de justice transitionnelle dans le domaine de la réforme des institutions concerne la procédure d’assainissement (vetting) qui vise à ce que « les fonctionnaires de l’État qui sont personnellement responsables de violations flagrantes des droits de l’homme, en particulier ceux de l’armée, des services de sécurité, de la police, des services de renseignements et du corps judiciaire, ne doivent plus exercer leurs fonctions au sein des institutions de l’État »61. L’assainissement est une mesure particulièrement pertinente et importante en RDC car de nombreux responsables présumés de violations graves des droits de l’homme se trouvent dans des institutions étatiques suite aux accords de paix. Cette présence dans les institutions, notamment dans l’armée, pourrait leur permettre d’empêcher ou de freiner toute initiative de justice transitionnelle voire, le cas échéant, de menacer ou simplement décourager de potentiels témoins et victimes. En ce sens, un processus d’assainissement n’est pas seulement indispensable en soi, mais apparaît comme la condition préalable à toute autre initiative de justice transitionnelle crédible.
80. Le Conseil de sécurité considère une telle mesure nécessaire pour briser le cycle d’impunité qui entoure les forces de sécurité en RDC depuis toujours, et qu’une véritable réforme du secteur de la sécurité ne saurait aboutir à des résultats durables sans mesures d’assainissement62.
Cour pénale internationale
81. Bien qu’en soi la CPI ne soit pas un mécanisme de justice transitionnelle, sa contribution en matière de justice pénale en RDC demeure très importante. Elle constitue pour l’instant le seul mécanisme judiciaire ayant la capacité, l’intégrité et l’indépendance nécessaires pour poursuivre ceux qui portent la plus grande responsabilité dans la commission de crimes internationaux sur le territoire de la RDC. Trois enquêtes de la CPI ont été ouvertes par le Procureur sur la situation en Ituri63. Ce faisant, elle a joué et continue à jouer un rôle très important dans la lutte contre l’impunité en RDC, susceptible d’encourager le travail des cours et tribunaux congolais et d’autres mécanismes à venir. La Cour a aussi inspiré certains acteurs du système judiciaire congolais qui ont puisé dans les dispositions du Statut de Rome de la CPI pour compléter et préciser le droit congolais applicable en ce domaine, comme il est expliqué dans la section III du rapport.
82. Toutefois, les nombreuses attentes soulevées par la CPI ont fait place à certaines déceptions parmi les Congolais et les acteurs internationaux investis dans la défense des droits des victimes, notamment à cause de la lenteur des procédures et la portée limitée des charges retenues, qui ne rendent pas justice aux centaines, voire milliers, de victimes et ne reflètent pas l’ensemble des activités criminelles des accusés, comme de nombreuses enquêtes l’ont révélé64.
83. Ainsi, devant l’absence de progrès dans la lutte contre l’impunité en RDC, il apparaît primordial que la CPI maintienne, voire accroisse son engagement. La CPI devrait s’intéresser particulièrement aux crimes les plus graves qui pourraient difficilement faire l’objet de poursuites en RDC en raison de leur complexité, comme par exemple les réseaux de financement et d’armement des groupes impliqués dans les crimes. Les personnes prétendumment impliquées dans ces activités semblent bénéficier d’appuis politiques, militaires ou économiques et se trouvent parfois à l’extérieur du territoire de la RDC, hors de portée de la justice nationale. Il apparaît donc important que le Procureur de la CPI accorde une attention particulière à ces cas afin qu’ils n’échappent pas à la justice.
84. En revanche, l’incompétence de la CPI à l’égard des nombreux crimes commis avant juillet 2002 et son incapacité á traiter un nombre important de cas limitent son rôle direct dans la lutte contre l’impunité et confirment l’importance et la nécessité de créer de nouveaux mécanismes permettant de poursuivre les principaux auteurs des crimes les plus graves couverts dans le présent rapport.