Deuxième Guerre – Attaques contre les autres populations civiles – Province Orientale

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358. Entre août et septembre 1998, les militaires de l’ANC/APR/UPDF ont pris le contrôle de la quasi-totalité de la province Orientale. Dans leur fuite, les militaires des FAC se sont livrés à des actes de pillages, en particulier dans les territoires d’Opala, Basoko et Yahuma. Ils ont également exercé une répression brutale contre tous ceux qu’ils soupçonnaient de soutenir le RCD. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Le 5 octobre 1998, des éléments des FAC ont exécuté sommairement 25 personnes au pont Bomokande, dans le village de Dingila du district de Buta. Après avoir été détenues arbitrairement pendant trois semaines, les victimes, 15 militaires des FAC hors de combat, huit civils nande et deux civils d’origine rwandaise, ont été décapitées et leurs corps jetés dans la rivière. Les 25 victimes étaient accusées d’avoir aidé les troupes de l’UPDF lors de leur attaque réussie sur la ville d’Isiro. Au cours de leurs deux mois de présence à Dingila, les militaires ont également violé un nombre indéterminé de femmes, dont plusieurs mineures. Ils ont aussi pillé systématiquement les biens des civils592.

359. Après le retrait des FAC de la province Orientale, de nombreux civils se sont engagés dans les groupes armés Mayi-Mayi et ont attaqué les militaires de l’ANC/APR en plusieurs points du territoire. En représailles, les militaires de l’ANC/APR ont mené des expéditions punitives contre des populations civiles soupçonnées de collaborer avec les Mayi-Mayi. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 24 octobre 1998, des éléments de l’ANC/APR ont exécuté 28 civils, dont plusieurs mineurs, dans le village de Makoka, à la frontière avec la province du Maniema, dans le territoire de Lubutu. Les militaires ont aussi violé au moins sept femmes. Avant de partir, ils ont pillé et incendié le village. Selon les villageois, aucun Mayi-Mayi n’était présent à cette époque à Makoka593.
  • Fin 1999, dans le territoire d’Opala, des militaires de l’ANC/APR ont tué deux mineurs entre les villages de Yatolema et Yalikoko et ont violé un nombre indéterminé de femmes. Fin 1999, les militaires ont violé au moins une mineure dans la ville d’Opala594.
  • En octobre 2000, au point kilométrique 63 de l’axe Kisangani-Lubutu, des éléments de l’ANC/APR ont exécuté sommairement quatre mineurs accusés d’être des Mayi-Mayi. Les militaires ont ensuite arrêté sept membres de la famille des victimes et les ont torturés pendant trois jours consécutifs avant de les relâcher. La veille de l’incident, un groupe de Mayi-Mayi avait tué plusieurs militaires de l’ANC/APR au cours d’une embuscade, les obligeant à se replier sur leur base de Wanie Rukula, dans le territoire d’Ubundu595.

360. Au cours de la période considérée, des avions des FAC ont bombardé à plusieurs reprises les positions de l’ANC/APR/UPDF en province Orientale. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Le 10 janvier 1999, un avion des FAC a bombardé sans discrimination la ville de Kisangani, tuant 12 civils et en blessant 27. Le 22 février, les bombardements des FAC sur la ville d’Opala ont fait cinq morts parmi les civils. Le bilan de ces bombardements aurait pu être beaucoup plus élevé si des sources militaires, à Kinshasa, n’avaient pas prévenu à temps les civils afin qu’ils évacuent les villes ciblées596.

361. En août 1999, alors que s’intensifiait la pression internationale pour que les responsables du RCD-Goma signent l’accord de Lusaka597, la crise latente entre le Rwanda et l’Ouganda pour le contrôle du RCD a dégénéré en conflit ouvert à Kisangani. Le 7 août au matin, les militaires de l’APR et de l’UPDF se sont affrontés à l’arme lourde pendant plusieurs heures sans faire de blessés parmi les civils. Au cours des jours qui ont suivi, le calme est revenu. Toutefois la tension n’a cessé de monter et les deux camps ont renforcé leurs positions et acheminé de grandes quantités d’armements autour de la ville. Le 14 août au soir, les combats ont repris entre les deux armées au niveau de l’aéroport avant de s’étendre aux principaux axes routiers et au centre ville. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Du 14 au 17 août 1999, les militaires de l’APR et de l’UPDF ont fait usage d’armes lourdes dans des zones à forte densité de population civile lors des combats qui les ont opposés pour le contrôle de la ville de Kisangani. Ces combats ont provoqué la mort de plus de 30 civils et en ont blessé plus d’une centaine. L’APR a tiré sur des cibles militaires ainsi que sur des résidences privées appartenant à des civils soupçonnés de soutenir les Ougandais. Après la fin des hostilités, les militaires rwandais et ougandais ont pillé plusieurs sites à Kisangani598.

362. Au terme de trois jours de combats, l’Ouganda et le Rwanda ont signé un accord de cessez-le-feu prévoyant la démilitarisation de Kisangani et la relocalisation à Bunia, le 1er octobre 1999, du quartier général de la branche pro-ougandaise du RCD, le RCD-Kisangani-Mouvement de Libération (RCD-K-ML) dirigé par Wamba dia Wamba. Au cours des mois suivants, la province Orientale s’est trouvée divisée entre une « zone rwandaise » sous contrôle du RCD-G et une « zone ougandaise » dominée par les différents mouvements soutenus par Kampala. En mai 2000, cependant, à Kisangani la tension entre les armées ougandaise et rwandaise est à nouveau montée d’un cran. L’UPDF a renforcé ses positions militaires au nord-est de la ville et l’APR a réagi en acheminant de l’armement supplémentaire. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Le 5 mai 2000, l’APR et l’UPDF ont fait usage d’armes lourdes dans des zones à forte densité de population, causant la mort de plus de 24 civils et en blessant un nombre indéterminé d’autres. Avant le début des hostilités, l’armée ougandaise avait prévenu la population de l’imminence de bombardements et avait demandé l’évacuation de plusieurs périmètres situés à proximité de leurs cibles599.

363. Le 12 mai 2000, une équipe d’observateurs militaires des Nations Unies a été envoyée sur place. Sous médiation internationale, les deux parties ont adopté un plan de démilitarisation de la ville qu’ils ont commencé à exécuter le 29 mai. Toutefois, dès le 5 juin les combats ont repris, donnant lieu à la guerre dite « des Six Jours ». L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Du 5 au 10 juin 2000, l’APR et l’UPDF se sont affrontés à Kisangani. Les deux camps se sont livrés à des attaques indiscriminées à l’arme lourde, tuant entre 244 et 760 civils selon certaines sources, en blessant plus de 1 000 et provoquant le déplacement de milliers de personnes. Les deux armées ont également détruit plus de 400 résidences privées et gravement endommagé des biens publics et commerciaux, des lieux de culte, dont la cathédrale catholique Notre-Dame, des établissements consacrés à l’éducation et des établissements sanitaires, dont des hôpitaux. L’UPDF avait pris certaines dispositions pour éviter les pertes civiles en ordonnant l’évacuation des zones de combat avant le début des hostilités et en interdisant l’accès à trois zones déclarées hors limites pour les non-combattants. Cette limitation a toutefois été étendue au personnel humanitaire, notamment au CICR, qui n’a pu porter secours aux blessés pendant plusieurs jours600.

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592 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, janvier 2009.
593 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, janvier 2009; Document remis à l’Équipe Mapping par le Président de la société civile de Wanie Rukula, province Orientale, 2009; Fondation congolaise pour la promotion des droits humains et la paix (FOCDP), « Mémorandum au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies », 2001; Groupe Justice et Libération, Rapport de 1999.
594 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, janvier 2009.
595 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, février 2009.
596 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, janvier et février 2009; Groupe Horeb, Rapport annuel, 1999; Groupe Justice et Libération, « La guerre des alliés et le droit international humanitaire », mai 1999; Groupe Lotus, Rapport sur les bombardements de 1999, 2000.
597 Pour le texte de l’Accord, voir S/1999/815, annexe.
598 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, décembre 2008; Judicial Commission of Inquiry – Republic of Uganda, « Final Report on Allegations into Illegal Exploitation of Natural Resources and Other Forms of Wealth in the DRC, 2001 », novembre 2002; Groupe Horeb, « Les affrontements de Kisangani: crimes contre les droits humains et le processus de paix durable », août 1999; Groupe Justice et Libération, « La guerre des alliés en RDC et le droit à l’autodétermination du peuple congolais », août 1999; Groupe Lotus, « Les conséquences de la contradiction des alliances et factions rebelles au nord-est de la RDC: La guerre de Kisangani », septembre 1999.
599 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, novembre 2008; Judicial Commission of Inquiry – Republic of Uganda, « Final Report on Allegations into Illegal Exploitation of Natural Resources and Other Forms of Wealth in the DRC 2001 », novembre 2002; Groupe Justice et Libération, « La guerre des alliés à Kisangani (5 mai-10 juin 2000) », 2000; Groupe Lotus, « Les rivalités ougando-rwandaises à Kisangani: La prise en otage de la population civile », mai 2000.
600 Entretiens avec l’Équipe Mapping, province Orientale, novembre 2008 et février 2009; Rapport de la mission d’évaluation interinstitutions qui s’est rendue à Kisangani (S/2000/1153), annexe; IRIN, Rapports hebdomadaires, mai 2000 à juin 2000; Judicial Commission of Inquiry – Republic of Uganda, « Final Report on Allegations into Illegal Exploitation of Natural Resources and Other Forms of Wealth in the DRC 2001 », novembre 2002; Groupe Justice et Libération, « La guerre des alliés à Kisangani (5 mai-
10 juin 2000), 2000; Groupe Lotus, Rapport sur la guerre de Kisangani, 2000; Groupe Lotus, « Kisangani, Le visage de la fatalité », janvier 2001.