Section I > CHAPITRE IV. Janvier 2001-juin 2003 : Vers la Transition > E. Sud-Kivu
445. Au cours de la période considérée, le RCD-Goma, a cherché à se doter d’une base populaire au Sud-Kivu et à isoler davantage les FDLR en organisant, en septembre 2001, un dialogue interkivutien et en proposant aux groupes Mayi-Mayi locaux de signer une paix séparée. À l’exception du groupe Mudundu 40, les groupes Mayi-Mayi de la province, encouragés en ce sens par le Gouvernement de Kinshasa, ont cependant refusé de négocier avec le RCD-Goma. Quant au dialogue interkivutien, il a été boycotté par la plupart des organisations locales de la société civile.
446. Les combats entre l’ANC/APR et les groupes Mayi-Mayi appuyés par Kinshasa et collaborant avec les FDLR et les groupes armés hutu burundais (FDD812 et FNL813) se sont poursuivis sur le terrain jusqu’en 2003. À compter de 2002, les forces de l’ANC/APR/FRD ont été confrontées de surcroît à une véritable insurrection des Banyamulenge de la région de Minembwe à l’initiative d’un ancien commandant de l’ANC, Patrick Masunzu. Considérées par l’ANC/APR comme des « Mayi-Mayi tutsi », les Forces républicaines et fédéralistes (FRF) de Masunzu se sont alliées aux groupes Mayi-Mayi opérant dans les territoires de Mwenga, d’Uvira et de Fizi et ont défié l’ANC/APR/FRD avec l’appui du Gouvernement de Kinshasa.
447. À compter de septembre 2002, le retrait progressif de l’armée rwandaise, FRD, a permis aux Mayi-Mayi et aux FDLR de reprendre le contrôle de plusieurs villages et d’élargir leur zone d’influence au Sud-Kivu814. Face à cette situation, l’ANC et les FRD ont mené plusieurs offensives contre les groupes Mayi-Mayi locaux afin de reprendre le terrain perdu. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
- Le 16 septembre 2001, des éléments Mayi-Mayi ont tué au moins 21 civils dans le village de Masanga, à 51 kilomètres du centre ville de Shabunda, dans la chefferie de Bakisi du groupement de Bagabo. Avant de quitter le village, les Mayi-Mayi ont pillé et incendié plusieurs habitations815.
- En 2001, des éléments Mayi-Mayi ont tué au moins trois civils, parmi lesquels le chef du village et une femme accusée d’être la compagne d’un militaire de l’ANC/APR dans le village de Nundu, à 56 kilomètres au sud d’Uvira. Avant de la tuer, les Mayi-Mayi ont mutilé les organes génitaux de la victime816.
- Le 17 janvier 2002, des éléments Mayi-Mayi et des FDLR ont tué six civils, dont trois femmes, et incendié quatre maisons dans le quartier de Nyakabere II de la ville de Sange, à 33 kilomètres au nord d’Uvira. L’attaque a eu lieu peu après qu’un membre des milices locales d’autodéfense mises en place par le RCD-Goma eut tué une femme dans le quartier de Nyakabere I de Sange817.
- En janvier 2002, des éléments de l’ANC/APR ont tué entre 17 et 20 personnes, parmi lesquelles au moins un bébé et deux mineurs, dans le village de Kaboke II du secteur de Tanganyika, dans le territoire de Fizi. Les tueries ont eu lieu après la fin des combats ayant opposé des Mayi-Mayi de la région aux militaires de l’ANC/APR. Certaines des victimes ont été tuées par balle à leur retour dans leur village, d’autres alors qu’elles se cachaient dans la brousse. D’autres encore sont mortes brûlées vives dans l’incendie de leurs maisons818.
- Au cours de la période considérée, des éléments de l’ANC/APR/FRD ont commis des viols et des actes de pillage à l’encontre des populations civiles vivant dans les villages de Cibanda, Nshesha et Makwale, à 40 kilomètres au sud-ouest de Bukavu, dans le territoire de Walungu819.
- Entre juillet et août 2002, dans le cadre de l’opération dite « Savon » ou « Huile de palme », des éléments des FDD ont violé au moins 22 hommes dans plusieurs villages de la presqu’île d’Ubwari. Les victimes étaient accusées de soutenir le RCD-Goma820.
- Le 20 juillet 2002, des éléments des FDLR ont tué sept civils, violé plusieurs femmes et pillé les biens de plusieurs familles dans le village de Nyabibwe, à 95 kilomètres au nord de Bukavu, dans le territoire de Kalehe. Ils ont également enlevé des enfants qu’ils ont ensuite contraints à porter les objets pillés. Certains de ces enfants ont par la suite été enrôlés dans les FDLR821.
- En octobre 2002, des éléments des Mayi-Mayi et des FRF ont violé et tué un nombre indéterminé de civils dans la région d’Uvira et pillé leurs biens822.
- Le 20 octobre 2002, après avoir repris le contrôle d’Uvira, des militaires de l’ANC ont violé et tué un nombre indéterminé de civils dans la ville et les villages environnants, notamment à Runingu, Kiliba, Sange, Ndunda, Luvungi et Kamanyola823.
- À compter du 22 décembre 2002 et pendant plusieurs mois, des Mayi-Mayi ont lancé à partir de pirogues des bombes artisanales sur la localité de Baraka, dans le territoire de Fizi, tuant au moins 17 personnes et détruisant au moins 40 maisons. Ces bombardements n’ont jamais pris pour cibles des objectifs militaires. Les Mayi-Mayi visaient en effet les populations civiles afin de les forcer à quitter la zone sous contrôle du RCD-Goma824.
448. Vers la fin de 2002, les responsables du RCD-Goma ont entamé des négociations avec une aile politique du mouvement Mayi-Mayi Mudundu 40 dirigée par Odilon Kurhenga Muzimu et Patient Mwendanga. Ces négociations avaient pour but d’achever le retrait des militaires des FRD du territoire de Walungu en échange de la collaboration de l’aile politique de Mudundu 40 afin d’anéantir l’aile militaire du mouvement dirigée par le commandant Kahasha (Foka Mike) et les éléments du Mudundu 40 opérant dans le territoire. En décembre, à l’issue de ces négociations, le RCD-Goma a nommé Patient Mwendanga au poste de Gouverneur du Sud-Kivu. Toutefois, l’aile militaire du Mudundu 40 a reçu l’appui des Mayi-Mayi de Padiri et renforcé ses positions dans le groupement de Burhale. En mars 2003, le rapprochement entre le RCD-Goma et l’aile politique de Mudundu 40 n’ayant pas permis de défaire l’aile militaire du mouvement, Patient Mwendanga a été démis de ses fonctions et l’ANC, avec l’aide de renforts des FRD, a lancé une attaque contre les éléments armés des Mudundu 40 dans le territoire de Walungu. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
- Entre le 5 et le 13 avril 2003, des éléments de l’ANC/FRD ont attaqué à l’arme lourde le quartier général du Mudundu 40 dans la localité de Mushinga (villages de Mwegerera, Lukumbo, Karhundu et Izirangabo) et ses environs, dans le groupement de Burhale, tuant plusieurs dizaines de civils. Ils ont aussi violé au moins 27 femmes et en ont fait disparaître six. Avant de partir, ils ont systématiquement pillé les villages. Les corps de plusieurs civils et militaires ont été enterrés dans des fosses communes situées à Izirangabo, Butunza et Kibirira, dans les environs du centre ville de Walungu. Pour punir la population de son soutien supposé au Mudundu 40, les militaires de l’ANC ont détruit intentionnellement et systématiquement les établissements d’enseignement et les infrastructures sanitaires dans la partie sud du centre ville de Walungu825.
- Le 31 janvier 2003, des éléments du groupe armé hutu burundais FNL ont tué sept civils, dont des mineurs, et pillé et incendié 41 maisons dans le village de Nyamwoma, à 28 kilomètres au nord d’Uvira, dans le groupement de Kabunambo de la chefferie de Bafuliro du territoire d’Uvira. Les victimes étaient des agriculteurs qui avaient refusé de payer la taxe exigée par les éléments du FNL de Bitagi Umunyu qui contrôlait la forêt de Rukoko, au Burundi. Selon une autre source, les auteurs du crime étaient des déserteurs des FNL826.
- Entre 1998 et 2003, plus de 1 660 cas de viol on été recensés dans les trois secteurs du territoire de Fizi. Tous les groupes armés opérant dans la zone se sont rendus coupables de ces actes. Sur les 1 660 viols recensés, 89 ont été des viols d’hommes, commis pour la plupart par les FDD. Ces chiffres sous-estiment naturellement l’ampleur du phénomène827.
- Entre 1998 et 2003, des éléments des FDD ont tué au moins quatre personnes, en ont violé des dizaines d’autres et ont pillé les biens civils dans le village de Kalundja, à 7 kilomètres de Baraka, dans le territoire de Fizi. Plusieurs cas de viol d’hommes ont été enregistrés dans le village qui a été ironiquement surnommé « Dubaï » en raison des actes de pillage commis pratiquement tous les mois contre ses habitants828.
- Entre 2000 et 2003, les ONG locales ont documenté 2 500 cas de violence sexuelle dans la seule chefferie de Bakasi, dans le territoire de Shabunda. Les violations ont eu lieu pour l’essentiel dans les villages de Mungembe, Matili, Nyalukungu, Lulingu, Chelamazi, Lugungu, Masanga et Kikamba. Les auteurs de ces violations ont été en premier lieu des éléments Mayi-Mayi et des FDLR ainsi que, dans une moindre mesure les éléments de l’ANC/APR/FRD829.
- Entre 1998 et 2003, des éléments de l’ANC/APR/FRD, des groupes Mayi-Mayi, des ALiR/FDLR et des FNL ont violé, souvent collectivement, un nombre indéterminé de femmes dans le territoire d’Uvira, en particulier dans la plaine de la Ruzizi830.
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