Section II > CHAPITRE II. Actes de violence commis contre les enfants > B. Cas particulier des enfants associés aux forces et groupes armés
Enfants associés aux forces et groupes armés (EAFGA)
Les guerres en RDC ont été également marquées par l’utilisation généralisée par toutes les parties1246des EAFGA. Selon les estimations des agences de protection de l’enfant qui travaillent dans le domaine du désarmement, de la démobilisation et de la réintégration (DDR) des enfants, au moins 30 000 enfants ont été recrutés ou utilisés par des forces ou groupes armés pendant le conflit1247. Ces statistiques font ainsi de la RDC l’un des pays au monde le plus affecté par le phénomène des EAFGA1248. Si l’attention internationale sur ce phénomène a culminé pendant le conflit en Ituri en mai 2003, avec le déploiement temporaire d’une force multinationale européenne, le recrutement et l’utilisation d’EAFGA était sans aucun doute déjà très répandu en RDC depuis 1996. Bien que des sources indiquent que des enfants auraient été recrutés et utilisés comme EAFGA avant 1996, le recrutement d’EAFGA a pris une ampleur jusque là inconnue au début de l’insurrection de l’AFDL/APR dans l’est du Zaïre. Bien que le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant ne définisse pas le terme de recrutement et l’utilisation d’enfants comme soldats ni le terme de participation directe aux hostilités, la définition communément admise d’un EAFGA est celle développée à un colloque organisé par l’UNICEF en Afrique du Sud en 1997. Les « Principes du Cap » désignent l’EAFGA comme suit:« toute personne âgée de moins de 18 ans enrôlée dans une force armée ou un groupe armé régulier ou irrégulier, quelle que soit la fonction qu’elle exerce, notamment mais pas exclusivement celle de cuisinier, porteur, messager, et toute personne accompagnant de tels groupes qui n’est pas un membre de leur famille. Cette définition englobe les filles recrutées à des fins sexuelles et pour des mariages forcés. Elle ne concerne donc pas uniquement les enfants qui sont armés ou qui ont porté des armes »1249.
Cette large définition est importante en raison de la multitude des rôles que les enfants jouent dans des groupes armés. L’inclusion des non-combattants est cruciale, notamment dans les périodes post-conflit. Elle a été reprise dans le Cadre opérationnel pour les enfants associés aux forces et groupes armés du Programme national de désarmement, démobilisation et réintégration en RDC.1. Cadre légal
Interdiction du recrutement d’enfants en droit international
Plusieurs traités internationaux des droits de l’homme et du droit humanitaire, ratifiés par la RDC, interdisent explicitement le recrutement d’enfants. La Convention relative aux droits de l’enfant et les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève (applicables pendant les conflits armés internes et internationaux) obligent les États qui les ont ratifiés à s’abstenir de recruter des enfants de moins de 15 ans. La RDC a aussi ratifié le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, qui interdit tout recrutement et utilisation d’enfants de moins de 18 ans dans les hostilités par les groupes armés, ainsi que le recrutement forcé et la participation dans des hostilités des enfants de moins de 18 ans dans l’armée régulière. Enfin, le Conseil de sécurité a adopté cinq résolutions sur les enfants et les conflits armés, qui condamnent le recrutement d’enfants par des forces et groupes armés1250.
Bien que ces traités créent l’obligation pour les États parties et les groupes armés de s’abstenir de recruter et d’utiliser des enfants, ils n’érigent pas ces actes en crimes portant responsabilité pénale individuelle. Les États parties aux traités sont obligés pourtant de prendre les mesures nécessaires pour prévenir ces actes, ce qui est un appel implicite à sanctionner le recrutement d’enfants comme infraction, afin d’enquêter et de poursuivre de tels actes.
Responsabilité criminelle pour le recrutement d’enfants en droit international
Le Statut de Rome de la CPI, que la RDC a ratifié en 2002, a marqué un progrès important en la matière en reconnaissant expressément comme crime de guerre le fait de procéder à la conscription ou à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans les forces armées ou dans des groupes armés ou de les faire participer activement à des hostilités, ceci dans les conflits armés internationaux ou internes.
En mai 2004, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone a jugé que le recrutement d’enfants de moins de 15 ans dans des forces armées ou leur utilisation pour participer aux hostilités peut être considéré comme un crime au regard du droit international coutumier, pour lequel une personne peut être tenue individuellement pénalement responsable, et ce depuis au moins 19961251.
Thomas Lubanga, le premier prévenu à avoir été transféré à la CPI, est accusé de crimes de guerre pour avoir enrôlé des enfants de moins de 15 ans dans les rangs des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC). Il est également accusé d’avoir fait participer ces enfants aux combats qui ont eu lieu en Ituri entre septembre 2002 et août 2003. La CPI accuse aussi de crime de guerre Germain Katanga, l’un des commandants des Forces de résistance patriotique en Ituri (FRPI) et Mathieu Ngudjolo Chui, l’un des dirigeants des forces alliées du Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI) pour avoir fait participer les enfants enrôlés dans leur mouvement aux combats en Ituri. Bosco Ntaganda, l’ancien chef adjoint de l’état-major général des FPLC, la branche armée de l’UPC (l’Union des patriotes congolais) est quant à lui accusé par la CPI d’avoir utilisé de son autorité pour mettre en œuvre la politique des FPLC en matière d’enrôlement et de conscription d’enfants de moins de 15 ans et de les avoir fait participer activement aux hostilités en Ituri de juillet 2002 à décembre 2003. Ntaganda est également accusé d’avoir exercé une autorité de jure et de facto dans les camps d’entraînement d’enfants soldats de Bule, Centrale, Mandro, Rwampara, Irumu, Bogoro et Sota. Il est enfin accusé d’avoir pris part à des attaques des FPLC auxquelles ont participé des enfants soldats.
Recrutement d’enfants en droit congolais
Jusqu’en 2009 le recrutement et l’utilisation d’enfants n’était pas défini comme un crime dans le code pénal. Toutefois, l’enlèvement des enfants et l’esclavage étaient considérés comme un délit dans le code pénal. En juin 2000, le décret-loi 066 ordonna la démobilisation et réinsertion familiale ou socioéconomique des enfants associés aux forces ou groupes armés, filles ou garçons, âgés de moins de 18 ans.
Ce manque de criminalisation du recrutement et l’utilisation d’enfants se reflète par le peu de condamnation de militaires pour ces faits, ne serait-ce que pour enlèvement et esclavage d’enfants. Et même lorsque cela a été le cas, comme dans l’affaire Jean-Pierre Biyoyo, cela n’a pas eu d’effet en termes de promotion au sein de la hiérarchie militaire congolaise. En effet Jean-Pierre Biyoyo a été nommé lieutenant-colonel dans l’armée congolaise tout en ayant été condamné à mort par un tribunal militaire en mars 2006, pour mouvement insurrectionnel, désertion à l’étranger, arrestation arbitraire et détention illégale d’enfants1252. De plus, le Chef de l’État congolais a nommé, le 10 janvier 2004, cinq anciens seigneurs de la guerre du district d’Ituri à des postes de généraux de l’armée nationale. Quatre des cinq nouveaux généraux – Jérôme Kakwavu, Floribert Kisembo, Bosco Ntaganda et Germain Katanga – étaient identifiés dans différents rapports comme responsables de graves atteintes aux droits de l’homme, notamment le recrutement et l’utilisation d’EAFGA. Bosco Ntaganda, quant à lui, a été réintégré dans l’armée congolaise en janvier 2009, en dépit du mandat d’arrêt de la CPI en date du 22 août 2006 pour les crimes de guerre d’enrôlement d’enfants soldats et leur utilisation dans des hostilités.
Pourtant, pendant la même période, la nouvelle loi de janvier 2009 portant protection de l’enfant, a érigé en crime le recrutement et l’utilisation des enfants dans les groupes et forces armés ainsi que dans la police (articles 71 et 187) et prévoit pour la première fois la pénalisation de ces infractions (entre dix et vingt ans d’emprisonnement).