Section II > CHAPITRE II. Actes de violence commis contre les enfants > A. Impact du conflit armé sur les enfants
Les violations répertoriées dans la première section du présent rapport ont touché les enfants autant que les adultes. Souvent soupçonnée de soutenir l’ennemi, la population civile, et donc les enfants qui la composent, a payé un lourd tribut pendant les guerres successives. Les enfants se trouvant dans les zones de combat n’ont en effet pas été protégés et ont même parfois été délibérément tués ou mutilés par les parties au conflit, souvent de manière particulièrement atroce.1. Enfants victimes d’attaques généralisées contre la population civile
Lors des massacres de réfugiés en 1996 et 1997, les troupes de l’AFDL/APR1195 auraient tué indifféremment hommes, femmes et enfants, certains à coups de marteau sur la tête1196. À partir de 1998, lors des opérations contre des populations civiles, les éléments de l’ANC (la branche armée du RCD) et de l’armée rwandaise (APR) auraient attaqué des groupes pourtant composés essentiellement de femmes et d’enfants, qu’ils auraient tués ou mutilés (Nord-Kivu)1197, abattu des femmes et des enfants dans des églises (Maniema)1198, mis le feu à des huttes et des maisons dans lesquelles ils avaient enfermé des civils, dont des enfants (Katanga) 1199 et seraient allés jusqu’à décapiter des enfants (province Orientale)1200.
Les ex-FAR/Interahamwe auraient aussi tué des enfants de façon délibérée, comme par exemple en Équateur, en avril et mai 1997, en représailles lorsque les Zaïrois refusaient de leur donner de la nourriture ou leurs bicyclettes dans certains cas1201. Au Nord-Kivu, les troupes de l’ALiR/FDLR1202 auraient attaqué des villages entiers, et tué, sans épargner les enfants, tous leurs habitants1203. Ils auraient aussi attaqué des camps de déplacés internes peuplés majoritairement de femmes et d’enfants1204.
Les armées régulières auraient elles aussi commis des crimes contre des enfants, comme par exemple les Forces armées angolaises (FAA), alliées au Gouvernement de Kinshasa, au Bas-Congo en 19981205, et les Forces armées congolaises (FAC) au Maniema et au Katanga1206. À une occasion, les militaires FAC auraient tué sept garçons parce qu’ils avaient refusé de céder leurs vélos1207.
Dans le district de l’Ituri, de nombreux enfants auraient été tués ou mutilés par des groupes armés dans des conditions atroces, par exemple à Mambasa et à Nyakunde1208. Selon le rapport de l’Équipe spéciale d’enquête sur les événements de Mambasa, les enfants auraient souvent été victimes d’actes de violence extrême. Certains auraient été découpés en morceaux et certaines parties de leur corps consommées par les militaires1209. Les enfants pygmées ont été particulièrement visés en raison des croyances locales leur prêtant des pouvoirs surnaturels1210.
Les enfants ont aussi été victimes d’autres violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire, notamment lors des bombardements indiscriminés à l’arme lourde par l’AFDL/APR sur des camps de réfugiés, tel qu’à Kitumba, Mugunga et Katale en 19961211 ou sur les populations civiles par les Forces armées zaïroises (FAZ) lors de la bataille de Kenge au Bandundu1212 en 1997, ou lors des bombardements de l’armée zimbabwéenne (ZDF) sur les quartiers populaires de Kinshasa en 1998 ou lors de bombardements des FAC en Équateur en 1999 et 20001213.
Les lieux qui hébergent traditionnellement des mineurs n’ont pas été respectés par les belligérants. Un grand nombre d’écoles, d’hôpitaux, d’orphelinats ainsi que des locaux de plusieurs organisations humanitaires ont été des sites de massacres d‘enfants qui ont rarement été épargnés par les combattants. Ainsi à la fin de l’année 1995, les opérations des FAZ contre les différentes milices ethniques au Nord-Kivu ont provoqué un incendie dans une école et des écoliers seraient morts brûlés vifs1214. En mai 1997, à Wendji en Équateur, les militaires de l’AFDL/APR auraient tué des enfants non accompagnés dans un bureau de la Croix-Rouge locale1215. En 1998, lorsque l’ANC/APR a privé Kinshasa et le Bas-Congo de sa principale source d’électricité, des dizaines d’enfants sont décédés dans les hôpitaux faute de soins1216. À Goma en 1998, les ex-FAR/Interahamwe/ALiR seraient rentrés rentrés dans un orphelinat et y auraient tué une dizaine d’enfants1217. En 1999, alors qu’ils participaient à une campagne de vaccination organisée par les autorités publiques, des enfants auraient été tués et mutilés par des militaires de l’ANC/APR dans le territoire de Masisi1218. En Ituri, les patients des hôpitaux de Nyakunde (septembre 2002)1219 et de Drodro (avril 2003)1220 , parmi lesquels figuraient de nombreux enfants, auraient été tués de façon systématique par des milices lendu et ngiti.
2. Enfants victimes en raison de leur origine ethnique
Les enfants ont également souvent été victimes des violences à caractère ethnique qui ont secoué les différentes régions. En 1993 plusieurs enfants hunde auraient été victimes des miliciens hutu1221. Au Sud-Kivu en 1996, plusieurs enfants et bébés banyamulenge auraient été tués à l’arme blanche en septembre lors des massacres commis par les éléments armés bembe avec la complicité des FAZ1222. En 1997, lors des attaques des militaires de l’AFDL/APR contre les Banyarwanda hutu et parfois les Nande, des enfants auraient été tués indifféremment avec les adultes, parfois de façon particulièrement cruelle, telle qu’à coups de petites haches ou en ayant leur tête fracassée contre des murs ou des troncs d’arbre1223. D’autres enfants sont morts avec leurs familles, brûlés vifs dans leur maison1224. Après le déclenchement de la deuxième guerre, dans les zones gouvernementales, les enfants n’ont pas été épargnés lors des persécutions contre les Tutsi, les Banyamulenge et les personnes d’origine rwandaise. À Kalemie (Katanga) des enfants tutsi auraient été détenus avec leurs mères pendant plusieurs semaines dans des conditions de détention inhumaine1225. Et dans la zone contrôlée par le RCD-Goma, des ex-FAR/Interahamwe/ALiR auraient tué une dizaine d’enfants tutsi dans un orphelinat de Goma1226.
En Ituri, dans le cadre du conflit ethnique, des éléments de l’UPC et les différentes milices lendu et ngiti auraient tué des enfants de façon systématique sur la base de leur appartenance ethnique1227.
Cas des attaques contre les réfugiés
Lors de plusieurs attaques contre les réfugiés hutu rwandais dans les camps et sur la route, les éléments de l’AFDL/APR n’auraient pas fait de distinction entre les éléments armés et les réfugiés, parmi lesquels se trouvaient de nombreux enfants. Plus grave encore, les éléments de l’AFDL/APR auraient fréquemment attaqué des camps que les ex-FAR/Interahamwe avaient déjà désertés et qui se composaient essentiellement de personnes vulnérables et affaiblies comme par exemple les enfants non accompagnés, les vieillards, les femmes et les blessés1228.
Au Nord-Kivu, dans le camp de Mugunga, des enfants et des bébés auraient été tués par balle et à l’arme blanche1229. Lors des massacres dans la localité de Chambucha et de Biriko, des enfants auraient été tués à coups de marteaux et de houes sur la tête1230. Au Sud-Kivu en 1997, des éléments de l’AFDL/APR auraient déporté 50 enfants réfugiés qui se trouvaient dans le centre de santé de Lwiro et les auraient torturés. Les infirmiers du centre de santé de Lwiro auraient été battus pour avoir soigné les enfants réfugiés1231.
Lors des grands massacres de Mboko, Kasika, Kilungutwe, Kalama et Makobola en 1998, un grand nombre d’enfants ont été tués par l’AFDL/APR1232. De même lors des massacres de Makobola II, Bangwe, Katuta, Mikunga et Kashekezi du 30 décembre 1998 au 2 janvier 1999, qui ont fait plus de 800 morts, les éléments de l’ANC/APR/FAB1233 ont tué de nombreux enfants1234. Au Maniema, dans le camp de Tingi-Tingi, les troupes de l’AFDL/APR auraient tué sans discrimination les derniers occupants du camp parmi lesquels se trouvaient de nombreux enfants non accompagnés, à coups de couteau sur la tête 1235. Lors des attaques en province Orientale, les enfants auraient été tués tout autant que les adultes, notamment lors des attaques sur les camps de Biaro et Kasese1236. Même des enfants placés sous la protection d’organismes humanitaires n’ont été ni épargnés, ni protégés. À Wendji en Équateur, les militaires de l’AFDL/APR sont entrés dans le bureau de la Croix-Rouge locale où ils auraient tué des enfants non accompagnés qui attendaient d’être rapatriés1237.
3. Violences sexuelles commises contre des enfants
Comme mentionné dans le chapitre sur les violences faites aux femmes, entre 1993 et 2003 la violence sexuelle a été une réalité quotidienne qui n’a pas épargné les enfants. Utilisées comme instrument de terreur, sur la base de l’appartenance ethnique ou à des fins de torture et d’humiliation, les violences sexuelles ont souvent ciblé les jeunes filles et les enfants, dont certains n’avaient parfois pas plus de cinq ans. Leur virginité en a fait des cibles en raison de croyances et superstitions abjectes, qui prétendent que les relations sexuelles avec des enfants soignent certaines maladies (VIH/sida) ou rendent invincibles. Les enfants ont particulièrement été touchés par le phénomène de l’esclavage et l’esclavage sexuel, pratiqué à grande échelle par les Mayi-Mayi, les ex-FAR/Interahamwe/ALiR/FDLR, l’UPC, les groupes armés ougandais des ADF/NALU et burundais des CNDD-FDD et FNL1238. Les filles recrutées et utilisées par toutes les parties au conflit comme enfants associés aux forces et groupes armés (EAFGA) ont quasiment toutes été victimes de violences sexuelles1239.
Les violences sexuelles ont un impact dévastateur sur les enfants, autant du point de vue psychologique que physique et sont un facteur capital de la propagation du VIH/sida et d’exclusion des enfants de leurs communautés. Les grossesses précoces, les avortements forcés et la stigmatisation sont autant de raisons qui font que les jeunes survivantes de violences sexuelles ne se remettent jamais du traumatisme qu’elles ont subi. Les enfants nés de viols sont fréquemment infectés par le virus VIH/sida et sont rejetés par leur communauté.
4. Mortalité infantile
Au-delà des attaques directes qu’ils ont subies, les enfants ont aussi été les victimes indirectes des conflits armés. Plus vulnérables que les adultes, les enfants ont souffert plus encore que le reste de la population des conséquences des guerres qui ont ravagé le pays. Les déplacements à répétition, la malnutrition, les maladies les ont affaiblis à un tel point qu’en 2001, le Comité international de secours [International Rescue Committee] concluait qu’un tiers des civils morts à cause des conflits dans l’est du Congo entre août 1998 et mai 2000 était des enfants âgés de moins de cinq ans1240.
Lors de la persécution des Kasaïens en 1993, le taux de mortalité infantile a été particulièrement élevé, notamment lors de leur déportation forcée dans des conditions inhumaines. En 2003, dans le Sud-Kivu, Oxfam estimait que dans certaines régions, un quart des enfants mourraient avant d’avoir atteint l’âge de cinq ans1241 . L’UNICEF rapporte que ces terribles statistiques font de la RDC l’un des trois pays au monde où il est le plus dangereux de naître. En 2006, il mourrait ainsi chaque année plus d’enfants de moins de cinq ans en RDC qu’en Chine, alors que la population chinoise est 23 fois plus nombreuse que la population congolaise1242.
5. Mines antipersonnel1243
Lorsque les conflits s’apaisent, les enfants sont généralement les principales victimes des mines anti-personnel laissées sur le terrain par les combattants. En RDC, les divers groupes et forces armés ont utilisé des mines à des périodes différentes principalement à l’est, dans la province de l’Équateur, et le long des lignes de front qui ont coupé le pays en deux du nord-ouest au côté sud-est du pays. Selon le Centre de coordination de l’action antimines des Nations Unies (UNMACC) en RDC, les mines et les artilleries non explosées ont causé la mort d’au moins 1 798 personnes entre 1996 et avril 2006, parmi lesquelles de nombreux enfants1244