Section II > CHAPITRE III. Actes de violence liés à l’exploitation des ressources naturelles > C. Exploitation des ressources naturelles comme facteur de prolongation du conflit
Les bénéfices de l’exploitation des ressources naturelles ont été tels que, dans un laps de temps très court, la guerre a commencé à s’autofinancer. Toutes les parties au conflit, y compris le Gouvernement congolais, ont fait d’énormes profits grâce au commerce des ressources naturelles, en utilisant une variété de moyens, dont la mise en place de systèmes de taxation formels ou semi formels, de licences et de redevances, d’extorsion de fonds aux alentours des sites miniers, d’érection de barrages routiers et de contrôle des frontières ainsi que la réquisition des stocks de bois et de minéraux. D’autres procédés, plus organisés, existent également tels que les systèmes mis en place par le Gouvernement congolais avec des sociétés parapubliques, la création de sociétés écrans ainsi que les réseaux créés par les armées rwandaises et ougandaises, en collaboration avec le RCD et d’autres groupes rebelles qu’ils soutenaient. Tous ces procédés ont été documentés notamment par les groupes d’experts1390 et ne seront pas détaillés dans le présent chapitre, qui se base sur les conclusions de ces enquêtes. La population n’a que très peu profité de cette exploitation des ressources naturelles et les recettes des trafics en tous genres ont surtout servi aux efforts de guerre et à l’enrichissement personnel de toutes les parties au conflit.
1. Financement du conflit du fait de l’exploitation des ressources naturelles
En 2002, le Groupe d’experts arrivait à la conclusion que toutes les mines de coltan situées dans l’est de la RDC profitaient soit à un groupe rebelle soit à des armées étrangères1391.
Les preuves démontrant que le Rwanda et l’Ouganda ont financé leurs dépenses militaires grâce aux revenus tirés de l’exploitation des ressources naturelles de la RDC sont abondantes. Pour le Rwanda, selon certaines estimations, ces revenus couvraient en 1999 80% de l’ensemble des dépenses de l’APR1392. L’armée ougandaise a également vu son budget considérablement renforcé grâce aux profits tirés des richesses de la RDC, particulièrement des districts de l’Ituri et du Haut-Uélé, de 1998 à 20021393. Une grande partie de l’or produit en Ituri a été exportée par l’Ouganda, puis réexportée comme s’il provenait de sa production intérieure – un modèle semblable à celui qui caractérise ses exportations de diamants1394.
Le MLC a quant à lui financé une part importante de ses efforts de guerre grâce aux taxes appliquées aux exportations de thé, de café, de bois et d’or en provenance de l’Équateur et de la province Orientale1395. Comme d’autres groupes armés, et comme le Gouvernement congolais, le MLC a accordé des concessions minières dans les territoires sous son contrôle en échange de matériel militaire et d’autres formes de soutien, principalement à partir de l’Ouganda1396. Les diamants, facilement exportables dans les pays voisins tels que de la République centrafricaine ont également été une source importante de financement pour le MLC1397.
Toujours en Équateur, des militaires de l’Armée nationale du Tchad ont réquisitionné des stocks de café, notamment à Gemena, et les ont revendus1398.
2. Contributions des entreprises d’État à l’effort de guerre de Kabila
Les entreprises d’État, comme la MIBA, la Gécamines, l’entreprise d’extraction d’or OKIMO et les compagnies pétrolières, ont fait des contributions financières directes à l’effort de guerre du Gouvernement1399. Les recettes de la vente de diamants ont également été utilisées pour acheter des armes pour l’armée congolaise et payer les salaires des militaires de l’armée zimbabwéenne1400.
3. Remboursement de la dette de guerre
L’intervention militaire et le soutien politique de certains pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) [Zimbabwe, Angola et Namibie] ont été essentiels au Président Laurent-Désiré Kabila durant la deuxième guerre. Afin de rembourser sa dette au Zimbabwe, le Président Kabila a accordé au Gouvernement de Robert Mugabe le droit d’exploiter les mines de diamants, de cuivre, de cobalt et des concessions forestières en RDC de façon telle qu’en 2001, le Groupe d’experts décrivait le Zimbabwe comme l’allié le plus actif du Gouvernement en termes d’exploitation des ressources naturelles1401. Mais il n’y a pas que ce pays qui a été grassement remboursé pour son soutien militaire. Kabila aurait également récompensé ses autres alliés, l’Angola et la Namibie, avec des accords préférentiels dans le commerce de diamants et de pétrole1402.
4. Contrats illégaux et léonins
L’exploitation illicite des ressources naturelles de la RDC et les graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui y sont associées n’auraient pas eu lieu sur une telle ampleur s’il n’y avait pas eu de clients désireux de faire le commerce de ces ressources. Il n’y a en effet jamais eu pénurie d’acheteurs étrangers prêts à faire le commerce de ces marchandises en dépit de l’existence de rapports dénonçant les graves violations du droit international commises par leurs partenaires commerciaux et financiers. Les acheteurs étaient non seulement des négociants en RDC et dans les pays voisins, mais aussi des sociétés privées enregistrées dans d’autres pays, y compris des sociétés multinationales1403.
Lorsque l’AFDL/APR a lancé sa rébellion en 1996, l’une de ses priorités a été de reprendre, et dans de nombreux cas d’annuler ou de modifier, les contrats miniers qui avaient été signés par le Président Mobutu. Au cours de la progression de l’AFDL sur Kinshasa en 1996, avant même qu’il ait formé un gouvernement, Kabila accordait des concessions à des compagnies privées1404. Bon nombre de ces transactions ont été réalisées illégalement. Les conséquences pour le pays, dans son ensemble, furent graves, puisque l’État a subi un manque à gagner du fait de contrats léonins conclus parfois pour plusieurs dizaines d’années.
Durant la deuxième guerre, des sociétés étrangères ne contrôlaient que rarement l’origine des minéraux ou des autres marchandises qu’elles achetaient, et payaient parfois directement les groupes armés1405. Dans certains cas, les sociétés étrangères ou multinationales participaient directement aux négociations avec les auteurs de violations des droits de l’homme, payaient des groupes armés ou leur fournissaient des installations ou des moyens logistiques pour l’exploitation des ressources naturelles1406.
5. Liens avec le trafic d’armes
Le trafic des ressources naturelles en RDC, particulièrement durant le conflit, a été étroitement associé à d’autres réseaux criminels, en particulier ceux qui sont impliqués dans le commerce d’armes. Le Groupe d’experts et des instituts de recherche ont documenté certains de ces liens et identifié les principaux trafiquants d’armes et les circuits de trafic1407. Le Groupe d’experts a conclu qu’« il est très difficile de restreindre les activités d’exploitation illégale ou d’y mettre fin sans devoir dans le même temps s’attaquer à la question du trafic d’armes », et il a mis en lumière l’interrelation entre ces deux activités, le conflit, l’insécurité et l’impunité1408. Les liens avec ces réseaux ont permis aux auteurs de violations des droits de l’homme en RDC d’exporter du pays en contrebande des ressources naturelles sans aucune difficulté, d’utiliser les profits pour acheter des armes, et de commettre encore d’autres violations des droits de l’homme. Les réseaux de trafic d’armes utilisaient à leur tour le même réseau de transport; certaines sociétés aériennes étaient réputées pour transporter des minéraux à l’extérieur de la RDC et y rapporter des armes1409.