Section II > CHAPITRE III. Actes de violence liés à l’exploitation des ressources naturelles > A. Violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire liées à la lutte pour le contrôle des ressources naturelles
Ce n’est pas un hasard si les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire ont été commises dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, au Maniema, en province Orientale et au Katanga. Ces zones riches en ressources naturelles sont tombées sous le contrôle successif de groupes armés nationaux et étrangers ainsi que d’armées étrangères, poussés par l’appât de ces ressources naturelles.
Certains de ces acteurs ont élaboré de vastes stratégies visant à occuper ces régions, qu’ils ont mises en œuvre par le biais d’opérations militaires1336. D’autres, comme certains petits groupes de rebelles congolais et les différentes factions dans lesquelles ils étaient fragmentés, ont été plus opportunistes et ont saisi les chances qui s’offraient à eux en collaborant avec les plus offrants. Quel que soit leur niveau d’organisation, tous les acteurs ont infligé de graves souffrances aux populations civiles.
Les belligérants ont tous eu recours aux mêmes pratiques pour saisir et maintenir le contrôle des territoires convoités: massacres de civils non armés, viols, tortures, arrestations et détentions arbitraires ainsi que déplacements forcés. Dans les mines, le travail forcé et l’utilisation du travail des enfants a été général et systématique.
1. Provinces du Nord-Kivu, Sud-Kivu et Maniema
Les principaux minéraux trouvés dans ces trois provinces sont le coltan, la cassitérite et l’or. Si le pillage des ressources naturelles pendant la première guerre a été moins bien documenté que pendant la seconde, il ne fait cependant guère de doute que la première guerre a pour le moins démontré aux groupes au conflit comme il était facile de prendre le contrôle des ressources naturelles et de tirer d’immenses profits de ces commerces1337. Lorsque le prix du coltan a flambé en 2000, ce minerai est devenu le plus attractif de tous1338.
Compte tenu de la nature lucrative de l’exploitation illégale, les groupes armés ont utilisé la force militaire et ont commis de graves violations des droits de l’homme à l’encontre des populations civiles pour maintenir leur contrôle sur ces régions. Les enjeux financiers en cause et la présence d’hommes armés chargés de maintenir ce type d’emprise sur l’extraction des ressources ont inévitablement donné lieu à de graves violations des droits de l’homme et le coût de ce pillage, en termes de vies humaines, a été énorme.
Les civils qui ont tenté de résister à l’usurpation des ressources naturelles, ou qui n’ont pas collaboré avec ceux qui détenaient le pouvoir, ont fait l’objet d’attaques. Des villages entiers ont été déplacés pour faire place à l’exploitation minière ou l’exploitation forestière et les groupes armés ont commis des massacres, des violences sexuelles et des traitements cruels et inhumains pendant ce processus1339. Ils ont également attaqué et incendié des villages afin de saisir le coltan qui avait été extrait artisanalement par leurs habitants1340.
Les batailles de Lulingu au Sud-Kivu sont un exemple manifeste. Les combats entre les soldats de l’Armée nationale congolaise (ANC) (la branche armée du RCD-G) et les Mayi-Mayi en 2000, à l’apogée de la ruée vers le coltan, pour le contrôle de Lulingu, un village relativement petit et isolé du territoire Shabunda, s’expliquent en partie par le désir de contrôler ses mines de coltan1341. Au moins une dizaine d’affrontements ont eu lieu entre les Mayi-Mayi et l’ANC soutenu par des troupes de l’armée rwandaise (APR), causant à chaque fois le massacre de dizaines de civils, le déplacement des populations civiles et les pillages de leurs biens1342. Au Nord-Kivu, en représailles contre une attaque de leur convoi de coltan mayi-mayi sur la route entre Mangurejipa, une importante zone minière, et Butembo, des militaires ougandais de l’UPDF auraient tué 36 habitants du village le plus proche du lieu d’embuscade1343.
Les commerçants de coltan ont également fait partie des victimes de meurtres, de torture, de mauvais traitements et de détention arbitraire1344. Par exemple, en juillet 2001 des militaires de l’ANC auraient exécuté un commerçant de minerais et douze porteurs à Punia, dans la province de Maniema, sur ordre des autorités locales afin de s’approprier l’importante cargaison de coltan et d’or ainsi qu’une grande quantité d’argent liquide. Les victimes avaient été accusées d’être des espions travaillant pour le compte des Mayi-Mayi1345.
Toutefois, il serait erroné de penser que seulement le coltan ou d’autres matières premières ont été le sujet de compétition entre les belligérants. Les parcs nationaux des Virunga (Nord-Kivu) et de Kahuzi-Biega (Sud-Kivu) ont été particulièrement attrayants pour les forces rebelles et militaires à cause de la faune qui s’y trouve et de l’ivoire obtenu du braconnage des éléphants. Le commerce de « makala » ou charbon de bois, principal combustible de cuisine utilisé en RDC, constitue un commerce d’une valeur de plusieurs millions de dollars pour la seule région de Goma et a été l’objet de nombreuses confrontations entre les groupes armés présents dans la zone et les gardes du parc de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN). Dans le seul parc national des Virunga, 87 gardes de parc de l’ICCN ont étés assassinés entre 1993 et 2003, en majeure partie lors de confrontations avec des groupes armés ou rebelles1346.
2. Province Orientale
Avec ses mines de diamants et d’or, ses vastes étendues de forêts de bois précieux et ses réserves de pétrole à peine explorées, la province Orientale a été le théâtre de nombreux conflits.
Sous Mobutu, les militaires zaïrois du SARM1347 s’installaient de préférence à la sortie de l’usine d’extraction d’or du gisement de la société OKIMO à Durba et se faisaient payer par les directeurs de l’usine pour attraper les employés qui volaient de l’or1348. Plus tard ce sont les militaires de l’UPDF qui ont réquisitionné l’or de la société OKIMO1349.
Les violents combats pour le contrôle de Kisangani qui ont eu lieu en 1999 et 2000 et les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui y furent associées peuvent s’expliquer, du moins en partie, comme étant une lutte pour le maintien du contrôle sur les ressources économiques. La ville de Kisangani se trouve non seulement dans une région riche en diamants et en bois, mais, étant située près du fleuve, elle est un carrefour important pour le commerce et le transport, reliant l’est de la RDC au reste du pays. Les armées rwandaise et ougandaise et le RCD-Goma encaissaient des revenus importants du commerce des diamants à Kisangani et ses environs. Lors des trois guerres de Kisangani, la concurrence pour la richesse naturelle de la région et l’importance stratégique de la ville ont probablement figuré parmi les facteurs qui ont précipité les combats. En 2001 le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en RDC a ainsi déclaré que « l’origine de ces affrontements [était] tant économique (chacune des armées convoit[ait] les immenses richesses de la province Orientale) que politique (contrôle du territoire) »1350.
Les affrontements entre les militaires de l’ANC/APR et les groupes Mayi-Mayi dans la zone diamantifère de Masimango, au sud du territoire d’Ubundu, ont donné lieu à de nombreux massacres de civils, dont des mineurs, en 20011351.
Le conflit en Ituri entre les ethnies hema et lendu – qui à l’origine était basé sur un différend foncier – a commencé en 1999, mais ce n’est qu’à partir de l’implication directe des armées ougandaise et rwandaise que la région a été victime de vagues de violence inconnues jusqu’alors. En effet, à partir de 2002, l’Ituri est devenu le théâtre de certains des événements les plus sanglants de la deuxième guerre, causant la mort de dizaines de milliers de personnes.
La présence de l’or et du bois a été un facteur majeur dans l’aggravation du conflit en Ituri et le pillage de ses ressources fut au moins aussi violent que celui des Kivu. En 2003, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en RDC a ainsi déclaré que « malgré l’apparence ethnique du conflit, les causes profondes de celui-ci demeurent économiques »1352. Certains ont décrit la compétition pour le contrôle des ressources naturelles par les forces combattantes comme « l’un des principaux facteurs – sinon le principal – dans l’évolution et la prolongation de la crise de l’Ituri » 1353.
Bien que la plupart des violations des droits de l’homme en Ituri en 2002 et 2003 aient été commises sur la base de l’appartenance ethnique, reflétant les traditionnelles tensions entre les Hema et les Lendu, les intérêts économiques des parties au conflit sont devenus de plus en plus évidents au fur à mesure du déroulement des événements. Les agendas économiques et politiques de l’Ouganda et du Rwanda ont ainsi donné lieu à des alliances changeantes et contradictoires ainsi qu’à un soutien militaire à des groupes rebelles très violents, qui ont conduit à des violations massives et généralisées des droits de l’homme et du droit international humanitaire1354. Les différents groupes armés et milices ont augmenté du fait de leur division en différentes factions et de leur réarmement. D’autres groupes armés, tels que l’Armée de libération du Congo (ALC), la branche armée du MLC originairement basée en Équateur, se sont progressivement mêlés au conflit. En 2001-2002, lors des violents combats qui ont opposé les militaires de l’alliance du MLC et du RCD-National aux militaires de l’Armée du peuple congolais (la branche armée du RCD-ML) dans le cadre de l’opération « Effacer le tableau », de nombreuses atrocités ont été commises contre la population civile et les militaires. Bien que l’origine de ces combats se soit située dans un contexte de positionnement politique, il est important de noter que les combats se sont déroulés principalement dans des zones riches en matières premières ou dans des régions qui donnaient accès à ces zones1355.
Les événements qui se sont produits dans la ville de Mongwalu, en Ituri, et ses environs, au cœur d’une région d’exploitation aurifère, illustrent aussi clairement le lien entre les violations des droits de l’homme et la ruée vers les ressources. Mongwalu a changé de mains à plusieurs reprises en 2002 et 2003, et alors que les groupes armés hema de l’UPC et lendu du FNI se sont battus pour son contrôle, chaque groupe aurait commis des massacres de civils ainsi que des cas de viols, de tortures, d’arrestations et de détentions arbitraires. Des dizaines de milliers de personnes ont été forcées de fuir leurs foyers1356.
Alors que le conflit gagnait en intensité, d’autres groupes armés s’y sont joints. Leur implication a largement été dictée par des intérêts économiques et l’appât des mines d’or1357. Un rapport de la MONUC a ainsi décrit Mongwalu comme « une ville à conquérir pour ses ressources naturelles »1358. Outre les perspectives d’enrichissement personnel, les groupes armés n’ont pas caché avoir utilisé l’argent de l’extraction de l’or pour acheter des armes et des munitions1359.
La ville aurifère de Mabanga de la collectivité de Mambisa du territoire de Djugu a aussi été le théâtre d’affrontements sanglants. En août 2002, des miliciens hema gegere associés à l’UPC auraient tué à coups de machette ou de bâton couvert de clous plusieurs dizaines d’habitants « non-originaires », soupçonnés d’aider les milices lendu qui cherchaient à prendre le contrôle des mines de la région et avaient commis des massacres auparavant1360.
Les villages situés près des mines d’or de Kilomoto dans le territoire de Watsa du district du Haut-Uélé ont aussi subi des attaques meurtrières répétées. En janvier 2002, des troupes de l’UPDF et des miliciens hema auraient ouvert le feu sur la population du village de Kobu (collectivité Walendu Djatsi du territoire de Djugu ) afin d’éloigner la population des mines d’or. Lors de cet incident, 35 civils lendu auraient été tués1361. Au mois d’octobre 2002, des éléments du FNI venant de la collectivité Walendu Djatsi auraient tué 28 personnes et enlevé 23 femmes sur le site minier de Kilomoto. Au cours de ces attaques, les miliciens auraient mutilé de nombreuses victimes, commis des pillages à grande échelle et incendié de nombreux bâtiments, parmi lesquels le bureau de la collectivité, des écoles et un hôpital1362. Au mois de février 2003, des éléments de l’UPC en provenance de Mwanga et de Kunda auraient tué et violé un nombre indéterminé de civils lors d’attaques contre les villages des localités de Ngongo Kobu, Lipri, Nyangaraye et Bambou situé près de Kilomoto. Au cours de ces attaques, les miliciens auraient aussi détruit des infrastructures de la compagnie minière de Kilomoto, y compris des écoles et des hôpitaux1363. Entre fin 2002 et mi-juin 2003, des éléments des Forces armées du peuple congolais (FAPC) et du FNI auraient également tué et violé des dizaines de civils aux alentours de la mine d’or de Kilomoto1364. Les attaques visaient à détruire le camp de l’UPC et à chasser les Hema qui contrôlaient la compagnie minière de Kilomoto1365.
Si les FAPC n’ont pas commis des massacres à grande échelle comme certains autres groupes armés en Ituri, elles auraient toutefois été responsables de plusieurs atteintes aux droits de l’homme particulièrement cruelles, dont plusieurs directement liées à l’or. En plus des attaques répétées sur la cité minière de Kilomoto et ses environs, les FAPC auraient aussi tué et violé des dizaines de civils dans la cité minière de Nizi dans le territoire de Djugu et dans le village de Djalusene dans le territoire de Mahagi où ils auraient aussi pillé et incendié de nombreuses maisons1366. Changeant constamment de groupe pendant le conflit en Ituri, les FAPC auraient collaboré, à différents moments, avec le RCD-ML, l’UPC et le FNI, toujours en vue d’optimiser les bénéfices de l’or et garder le contrôle de la frontière avec l’Ouganda. Il a été calculé que les postes frontaliers sous contrôle des FAPC, en particulier les postes de Mahagi et d’Aru, généraient 100 000 dollars des États-Unis par mois de revenu en taxes pour ce groupe armé pendant la période 2002-20041367. En province Orientale, les parcs nationaux ont aussi été ciblés pour leurs ressources, comme par exemple le parc national de Garamba dans lequel les rebelles soudanais du SPLA se sont livrés au braconnage de l’ivoire1368.
3. Katanga
La persécution et la déportation forcée des Kasaïens du Katanga entre 1991 et 1995, bien que liées avant tout à un conflit d’ordre politique entre Mobutu et Tshisekedi1369, comportait indéniablement un aspect économique. Pour beaucoup de Katangais, il s’agissait de reprendre le contrôle du secteur minier local en commençant par la principale compagnie minière de la province, la Gécamines, qui employait un grand nombre de Kasaïens, en particulier au niveau de la direction de l’entreprise1370.