Section II > CHAPITRE III. Actes de violence liés à l’exploitation des ressources naturelles > B. Violations des droits de l’homme liées à l’exploitation des ressources naturelles
Une fois les zones stratégiques conquises ou reprises, les groupes armés y ont commis des violations des droits de l’homme. Les régimes de terreur et de coercition mis en place dans ces zones ont entraîné un large éventail d’atteintes aux droits de l’homme, allant du travail forcé, du travail d’enfants1371 et de l’exploitation des mineurs aux abus de pouvoir aboutissant à des meurtres, des violences sexuelles, des tortures et des déplacements de populations civiles.
Au Nord-Kivu et Sud-Kivu, le ANC(Armée nationale congolaise) et l’APR (Armée Patriotique Rwandaise) auraient instauré un système de travaux forcés, y compris des enfants, dans les mines de coltan et ont obligé la population locale à abandonner l’agriculture pour se consacrer à l’exploitation minière1372. Ainsi en 2002 le Groupe d’experts a signalé que « la plus grande partie de la colombotantalite exportée de l’est de la RDC (pas moins de 60 à 70 %), est extraite sous la surveillance directe des superviseurs de l’APR préposés aux activités minières. (…) Dans les sites d’extraction qui sont gérés par les superviseurs de l’APR, divers régimes de travail forcé coexistent, pour l’extraction, pour le transport et pour les tâches domestiques»1373. Selon de nombreuses sources, ils auraient également largement fait appel à des prisonniers du Rwanda notamment dans les mines des environs de Numbi, village situé dans le territoire de Kalehe au Sud- Kivu1374.
Les troupes du MLC auraient également utilisé le travail forcé et la violence contre les mineurs artisanaux qui refusaient de travailler pour eux, par exemple dans des mines de diamants dans la province Orientale1375. En Ituri, l’UPC et le FNI auraient aussi eu recours au travail forcé dans les mines d’or en 2002 et 20031376, y compris au travail forcé d’enfants, notamment dans des mines contrôlées par l’UPC1377. Le travail des enfants, forcé ou du fait de la pauvreté extrême, était également répandu dans les mines du Katanga1378, du Kasaï occidental1379 et du Nord-Kivu1380, qui employaient des milliers d’enfants, dont certains n’avaient pas plus de sept ou huit ans.
La violence qui régnait autour des sites d’extraction de minerais était aussi le terreau de violences sexuelles. Par exemple au Sud-Kivu, dans les années 1990, des éléments des Forces armées zaïroises (FAZ) érigeaient des barrières à proximité des mines et violaient certaines femmes à leur passage sous prétexte qu’ils cherchaient des minerais dans leurs parties génitales1381. Les femmes soupçonnées de contrebande auraient été violées en représailles. Ainsi en mars 2002, les militaires de l’ANC/APR auraient violé deux femmes dans le village de Nyeme du territoire de Katako-Kombe dans le Kasaï occidental, en les accusant de collaborer avec un pasteur qui était en conflit avec des responsables de l’ANC/APR au sujet d’une affaire de trafic de diamants1382.
Les conditions de travail extrêmement dangereuses auxquelles ont été soumis les mineurs et l’inexistence de réglementation adéquate représentent des violations des droits économiques et sociaux1383 et des normes internationales du travail auxquels la RDC a souscrit.
En effet, l’extraction minière artisanale, informelle et non réglementée, effectuée par plus d’un million de mineurs artisanaux, représente la vaste majorité de la production minérale de la RDC, jusqu’à 90% selon certaines estimations1384. Les mineurs artisanaux sont ainsi extrêmement vulnérables à l’exploitation et aux abus et travaillent dans des conditions très difficiles et dangereuses1385. Il a été estimé que plusieurs centaines de mineurs seraient morts entre 1993 et 2003, notamment suite à des éboulements. Les victimes comprenaient souvent des jeunes enfants1386. Selon des experts, des milliers de personnes seraient aussi exposées à des risques d’irradiation dans les mines d’uranium de la RDC1387.
Cas particulier des violations des droits de l’homme commises dans le polygone diamantaire de la Minière des Bakwanga (MIBA)
Le « polygone », une région située dans la concession de la Minière des Bakwanga (MIBA) à Mbuji-Mayi, dans le Kasaï oriental, a été le lieu de nombreux affrontements violents entre les mineurs artisanaux et les représentants des forces de l’ordre. Des centaines de civils, parmi lesquels de très nombreux jeunes, ont tenté de gagner leur vie en s’introduisant clandestinement dans la concession de la MIBA à la recherche d’éventuels diamants. En réaction, la MIBA et l’autorité provinciale ont fait appel à des groupes de gardiens surnommés « Blondos » afin d’épauler la police des mines1388. Des Forces armées congolaises (FAC) ainsi que des troupes de l’armée zimbabwéenne (ZDF) étaient également présentes sur la concession de la MIBA. La situation sur le polygone minier est devenue rapidement anarchique du fait de la concurrence entre ces différents groupes armés censés protéger la concession et de la présence, parmi les creuseurs illégaux, de certains éléments armés surnommés « suicidaires ». Entre 2001 et 2003, les gardiens de la MIBA auraient exécuté sommairement et blessé plusieurs centaines de civils entrés illégalement dans le polygone minier. Les victimes auraient été tuées par balles ou auraient été enterrées vivantes dans les trous où elles s’étaient cachées. Les gardiens de la MIBA auraient également détenu un nombre indéterminé de creuseurs illégaux, parmi lesquels des mineurs, dans des cachots situés sur la concession dans des conditions d’existence propres à entraîner des décès.
Plusieurs cas de tueries ont été signalés au cours de l’année 2001 mais l’incident le mieux connu est celui qui s’est produit le 21 février 2003. Ce jour-là, les gardes de la MIBA auraient surpris une trentaine de creuseurs illégaux et auraient ouvert le feu sur eux. Certains creuseurs ont réussi à s’échapper mais d’autres se sont réfugiés dans une galerie souterraine. Les gardes de la MIBA auraient alors obstrué l’entrée de la galerie avec des pierres et des barres de mines. Le 22 février, neuf corps ont été exhumés de la galerie parmi lesquels huit morts par asphyxie et un par balles. Le 27 février, le Ministre des droits humains a ordonné une enquête et saisi le Procureur de la Cour d’ordre militaire. Les gardiens de la MIBA ont invoqué la légitime défense, arguant que les creuseurs étaient armés. L’affaire a finalement été classée sans suite au motif que les victimes étaient décédées suite à un éboulement de terrain. Les violations des droits de l’homme ont donc continué et en juin 2003 par exemple les gardes de la MIBA auraient tué un nombre indéterminé de creuseurs illégaux dans des circonstances similaires1389.