Deuxième Guerre – Attaques contre les autres populations civiles – Équateur

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381. En novembre 1998, une nouvelle rébellion, le Mouvement pour la libération du Congo (MLC) a vu le jour avec l’appui de l’Ouganda. Présidé par Jean-Pierre Bemba Gombo, le MLC ne disposait au départ que d’un bataillon composé principalement de militaires des ex-FAZ soutenus par des éléments de l’UPDF. En quelques mois, cependant, l’armée du MLC, l’Armée de libération du Congo (ALC) a intégré dans ses rangs de nombreux ex-FAZ et a pris le contrôle de plusieurs agglomérations dans le nord de la province de l’Équateur. La ville de Bumba est tombée le 17 novembre, celle de Lisala le 10 décembre, le village de Businga, au carrefour conduisant aux villes de Gemena et Gbadolite le 20 décembre, la ville de Gemena le 24 décembre et le village de Libenge, à l’extrême ouest de la province, sur la frontière avec la République centrafricaine, le 4 janvier 1999. Afin de bloquer la progression de l’ALC/UPDF, les FAC ont mené des bombardements aériens très intenses en décembre 1998. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 22 décembre 1998, un Antonov des FAC a largué 11 bombes artisanales sur le village de Businga, tuant cinq civils. Le 24 décembre, un Antonov des FAC a bombardé une deuxième fois le village, tuant deux civils670.
  • Le 25 décembre 1998, un Antonov des FAC a bombardé la ville de Gemena, blessant légèrement deux civils. Le 28 décembre, un Antonov des FAC a largué sans discrimination plusieurs bombes artisanales sur Gemena, tuant au moins 27 civils671.

382. Simultanément, les FAC, les éléments de l’Armée nationale tchadienne (ANT) et ceux de l’ALiR ont lancé une contre-offensive terrestre. Au cours de cette opération, les militaires des FAC/ANT/ALiR ont commis de graves violations à l’encontre des civils qu’ils considéraient comme hostiles au régime du Président Kabila et complices de l’ALC. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 28 décembre 1998, des éléments des FAC ont tué au moins quatre civils dans la forêt entourant le village de Businga. Un témoin oculaire a rapporté que l’une des victimes, une femme blessée, a été achevée d’une balle par un militaire des FAC. La veille, les FAC/ANT/ALiR avaient chassé les éléments de l’ALC/UPDF du village, provoquant la fuite des civils dans la forêt672.
  • Le 9 janvier 1999, des éléments de l’ANT ont incendié 55 maisons et 18 civils sont morts brûlés vifs dans la localité de Boyasegbakole I du territoire de Gemena. Ce massacre a eu lieu en marge des affrontements entre l’ANT et l’ALC/UPDF pour le contrôle de Gemena673.
  • Aux alentours du 10 janvier 1999, des éléments des FAC et des unités de la Garde présidentielle du Président Kabila connus sous le sigle PPU 674 ont tué 25 personnes, dont six femmes, dans le village de Nduma, à une centaine de kilomètres de Zongo. Les corps des victimes ont été jetés dans des puits. Vers la même date, des FAC/PPU ont tué 15 habitants du village de Mase, à 2 kilomètres de Nduma. Certaines victimes sont mortes brûlées vives tandis que d’autres ont été tuées par balle675.
  • Le 29 mars 1999, dans le territoire de Businga, des éléments des FAC/ANT/ALiR ont pillé le centre de développement IME Loko ainsi que l’hôpital situé entre Businga et Gbadolite et des biens appartenant à la Communauté évangélique d’Ubangi-Mongola (CEUM)676.

383. Après le repli des troupes de l’ALC/UPDF sur Lisala, les militaires des  FAC/ANT/ALiR ont poursuivi leur offensive et sont arrivés à Umangi dans la nuit du 23 au 24 février 1999. Le 24 février, les FAC ont attaqué la ville de Lisala. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 24 février 1999, des éléments des FAC/ALiR ont tué par balle trois civils dans le village d’Umangi et un quatrième dans le village d’Edjeke, à moins d’une vingtaine de kilomètres de Lisala677.
  • Entre les 24 et 26 février 1999, les FAC/ANT/ALiR et l’ALC/UPDF ont lancé des obus sur la ville de Lisala, tuant au moins 15 civils678.

384. Le 26 février 1999, les troupes de l’ALC/UPDF ont repris Lisala, obligeant les FAC/ANT/ALiR à se replier sur Umangi. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 26 février 1999, des éléments des FAC/ANT/ALiR en repli vers Umangi ont tué trois civils dans le village de Bopuo, à 7 kilomètres de Lisala679.
  • Le 28 février 1999, des éléments des FAC/ANT/ALiR ont tué sept civils dans le village de Ngonzi-Rive, à 9 kilomètres de Lisala. Les victimes, qui avaient été prises en otage la veille, ont été exécutées devant le bâtiment du Groupe scolaire de Ngonzi-Rive. L’une des victimes a été tuée pour avoir réclamé la bicyclette que lui avaient volée les militaires680.

385. Au cours des mois suivants, de violents combats ont opposé les éléments des FAC/ANT/ALiR à ceux de l’ALC/UPDF autour de Businga et Kateke, deux villages du district du Nord-Oubangui. Ces combats ont causé de lourdes pertes dans les deux camps. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 28 mai 1999, à 12 kilomètres de Businga, des éléments de l’ALC/UPDF ont exécuté un élément de l’ALiR mis hors de combat. De nombreux témoignages indiquent que les militaires de l’ALC coupaient les lèvres des prisonniers tchadiens. Les cas d’exécution sommaire et de mutilation des prisonniers étaient très fréquents681.
  • En mai 1999, alors qu’ils se retiraient du territoire congolais, des éléments de l’ANT ont pillé de nombreux biens civils et plusieurs tonnes de café dans la ville de Zongo du district du Sud-Oubangui682.

386. Profitant du retrait des troupes de l’ANT et de l’arrivée de renforts en provenance des camps de recrutement et d’entraînement, les militaires de l’ALC/UPDF ont lancé une seconde grande offensive en mai 1999. En trois mois, les troupes de l’ALC/UPDF ont repris le contrôle des villes de Kateke (27 avril 1999), Businga (14 mai 1999) et Gbadolite (3 juillet 1999). Au cours de leur retraite, les éléments des FAC/ALiR ont mené des attaques délibérées contre les civils soit parce qu’ils les avaient accusés de collaborer avec les militaires de l’ALC/UPDF soit afin de piller leurs biens. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 10 mai 1999, des éléments des FAC/ALiR ont tué trois mineurs entre Businga et Loko. Ils ont également tué un nombre indéterminé de civils dans les villages de Bokosa, Bogbudu, Bobusu et Bobale683.
  • En juin 1999, des éléments des FAC/ALiR ont tué au moins huit civils à Inke, un village situé à 50 kilomètres de Gbadolite684.
  • Vers la fin juillet 1999, des éléments des FAC ont tué entre 32 et 45 civils dans le village de Bogwaka, au sud de Gemena. Les victimes, qui appartenaient à un groupe de jeunes choristes du village de Bogon, étaient en route pour Akula afin de s’engager dans l’ALC. Arrivés à Bogwaka, dans le territoire de Gemena, les victimes ont été interceptées par les FAC. Prenant les FAC pour des militaires de l’ALC, les victimes leur ont confié leur souhait de s’engager dans l’armée du MLC. Les civils ont été conduits dans la maison du commandant des FAC et exécutés un par un. Les corps ont été enterrés à Bogwaka dans une fosse commune située derrière la résidence qu’utilisait à l’époque le commandant des FAC685.

387. En juin 1999, les troupes de l’ALC/UPDF se sont emparées de Bongandanga, ville située au sud de Lisala. Des éléments des FAC, appartenant à un bataillon surnommé « Robot » en raison des uniformes et équipements portés par ces militaires, ont battu en retraite en direction de Djolu. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Avant de quitter Bongandanga, des éléments du bataillon Robot des FAC ont tué deux civils derrière l’Institut de Bongandanga. Les victimes étaient accusées d’appartenir à l’ALC686.
  • En juillet 1999, des éléments du bataillon Robot ont enlevé 36 femmes dans le village de Bolima-Likote, à cheval entre les territoires de Bongandanga et Djolu, et les ont violées dans la forêt687.
  • En juillet 1999, des éléments du bataillon Robot ont tué six civils et incendié le village de Djilingi, chef-lieu du groupement de Likote688.

388. Malgré la signature de l’Accord de Lusaka par l’ensemble des parties au conflit689, le cessez-le-feu n’a été respecté par aucun camp dans la province de l’Équateur. Dans l’espoir de bloquer l’avancée des troupes de l’ALC/UPDF vers Mbandaka, les FAC ont repris leurs raids aériens sur la région en utilisant des bombes artisanales. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 4 août 1999, un Antonov des FAC a mené un raid aérien sur Makanza, dans le territoire de Basankusu, tuant un nombre indéterminé de civils690.
  • Après la prise de la ville par les troupes de l’ALC/UPDF, le 30 novembre 1999, les FAC ont bombardé Basankusu à plusieurs reprises, tuant un nombre indéterminé de civils.
  • Aux environs du 9 novembre 1999, après avoir repris le village de Mbombe, situé entre Dongo et Imese, des éléments des FAC ont tué 17 personnes à Mbombe. Les victimes étaient accusées de soutenir le MLC691.

389. Le 23 février 2000, de violents combats ont éclaté entre les FAC et les troupes de l’ALC/UPDF autour de Bolomba. Au cours de leur retraite, les FAC s’en sont pris à la population civile au moins à trois occasions. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

  • Le 24 février 2000, des éléments des FAC basées à Likwelo ont tué par balle cinq civils dans le territoire de Bolomba. Les victimes étaient venues de Likwelo jusqu’à Bolomba afin de vendre du poisson, mais les militaires les ont accusées de collaborer avec le MLC. Le chef de la localité de Likwelo figurait au nombre des victimes692.
  • Le 25 février 2000, des éléments des FAC ont fusillé six civils à Eliki, localité située à 23 kilomètres de Bolomba. Les exécutions ont eu lieu au terme d’un jugement sommaire rendu après une parodie de procès condamnant les victimes à mort en raison de leur soutien au MLC. Les victimes avaient été arrêtées par les FAC le 24 février avec neuf autres civils de Boso-Nzote et transportées en jeep jusqu’à Eliki. Les neuf autres civils avaient réussi à s’évader à la suite de la distraction d’un militaire commis à leur garde. Les six victimes ont été enterrées dans deux fosses communes situées dans le village d’Eliki693.
  • Le 3 mars 2000, des éléments des FAC basés à Maponga ont enterré vivantes deux femmes dans le village de Bobganga. Les victimes étaient accusées de collaborer avec le MLC694.
  • Le 25 février 2000, après leur retrait du village de Lotoko, des éléments des FAC/ALiR ont fusillé neuf civils originaires de Mompanga et Mange, deux villages situés sur l’axe Basankusu–Boende, dans le territoire de Befale. Les victimes étaient accusées de soutenir le MLC. Elles ont été exécutées une par une tout près du campement des FAC/ALiR situé à Mange. Certaines des victimes ont été tuées par balle, d’autres à coups de massue et l’une d’elles a été asphyxiée. Le chef de localité de Mompanga figurait au nombre des victimes695.
  • Fin février 2000, les mêmes éléments des FAC/ALiR ont violé une vingtaine de femmes à Mange, dont l’une est décédée en raison des blessures causées lors du viol. Ils ont également enlevé un nombre indéterminé de femmes, dont une mineure qu’ils ont utilisées comme esclaves sexuelles pendant plusieurs mois696.

390. Selon certaines sources, quelques-uns des auteurs des crimes commis autour de Mange auraient par la suite été jugés de manière expéditive à Boende par la Cour d’ordre militaire puis exécutés.

391. Début mai 2000, les troupes de l’ALC/UPDF ont conquis le village de Buburu, sur le fleuve Oubangui. En juillet, les FAC ont repris tous les villages jusqu’à Libenge en embarquant de l’artillerie lourde sur des bateaux. De nombreux civils qui habitaient ces villages riverains ont été tués sans discrimination par ces bombardements. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Vers la fin mai 2000, des éléments des FAC ont tué sept mineurs dans le village de Buburu parce qu’ils avaient refusé de céder leurs bicyclettes. Les corps des victimes ont été jetés dans l‘Oubangui697.

392. Le 9 août 2000, un char de l’UPDF a tiré sur un bateau transportant des militaires des FAC et plusieurs dizaines de militaires au moins sont morts noyés au niveau de la mission protestante de Kala, village situé à 30 kilomètres de Libenge. L’incident allégué suivant a été documenté :

  • Entre le 20 juillet et le 10 septembre 2000, des éléments de la 10e Brigade des FAC ont exécuté des dizaines de civils dans le village de Dongo. Le 21 juillet, les militaires ont tout d’abord arrêté et exécuté les civils qui se trouvaient encore dans le village à leur arrivée. Au cours des jours suivants, ils ont arrêté et exécuté les civils qui avaient fui dans la brousse puis finalement accepté de rentrer. Les tueries ont cessé le 10 septembre lorsque l’ALC/UPDF a repris le contrôle de Dongo. Les corps des victimes ont été placés dans plusieurs fosses communes situées en face du bureau de secteur, sur l’avenue Mbenga, près du marché, et sur la route entre Dongo et Ikwangala. Le 14 septembre, le MLC a fait venir sur les lieux plusieurs journalistes internationaux afin que les massacres soient connus de l’opinion publique internationale698.

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670 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Kinshasa, février 2009.
671 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009.
672 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Kinshasa, février 2009.
673 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009; Document confidentiel remis à l’Équipe Mapping, mars 2009.
674 La « Presidential Protection Unit » est devenue par la suite le Groupe spécial de sécurité présidentielle (GSSP).
675 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Kinshasa et Équateur, février, mars et avril 2009; AFP [Agence France-Presse], « DRC troops massacre 300 civilians », 13 janvier 1999; AI, « La dignité humaine réduite à néant », 2000, p. 10.
676 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009.
677 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009.
678 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009.
679 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009.
680 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009.
681 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Kinshasa, février-mars-avril 2009.
682 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009.
683 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Kinshasa, mars/avril 2009; Action humanitaire du Congo, « Situation des graves violations des droits humains dans le Nord-Équateur », 4 avril 2009.
684 Ibid.
685 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009.
686 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, mars-avril 2009.
687 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, mars-avril 2009.
688 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, mars-avril 2009.
689 Pour le texte de l’Accord, voir S/1999/815, annexe.
690 Entretien avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009; IRIN, « Bemba Waiting for Chiluba Reply Over Bombings », 6 août 1999; AI, « La dignité humaine réduite à néant », 31 mai 2000, p. 11.
691 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009.
692 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009.
693 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009.
694 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009.
695 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009; MSF, « RDC, Silence on meurt, Témoignages », L’Harmattan, 2002.
696 Ibid.
697 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Équateur, avril 2009.
698 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Kinshasa et Équateur, avril 2009; Ian Fisher, « Congo’s War Triumphs over Peace Accord », The New York Times, 18 septembre 2000; Voice of America, « Congo Rebels », 14 septembre 2000.