Section I > Chapitre III. Deuxième Guerre > B. Attaques contre les autres populations civiles > 7. Ituri
364. Mi-août 1998, les militaires de l’UPDF sont entrés en Ituri et ont rapidement pris contrôle du district sans rencontrer de véritable résistance. Comme le reste de la province Orientale, l’Ituri a été placé sous l’administration du RCD. À la suite de la scission, en mars 1999, de ce mouvement entre une branche pro-rwandaise (RCD-Goma) et une branche pro-ougandaise (RCD-ML), l’Ituri a été intégré au sein de la zone RCD-ML et dirigé depuis Kisangani. Sur le terrain, cependant, le véritable homme fort de l’Ituri était le chef d’état-major de l’UPDF, le général Kazini. Ce dernier a appliqué une politique favorisant l’autonomie de la région par rapport au reste de la province Orientale et favorisé ouvertement les intérêts de la communauté hema, ravivant ainsi les anciens conflits fonciers.
365. Les exploitants hema-gegere601 qui, quelques années auparavant, avaient acquis auprès du cadastre de nouvelles concessions dans le territoire de Djugu ont profité de la nouvelle configuration politique pour faire valoir leurs droits. Comme les Lendu de la collectivité des Walendu Pitsi602, détenteurs des droits coutumiers sur ces terres, contestaient la valeur de leurs titres fonciers, les exploitants hema-gegere ont fait appel aux tribunaux et obtenu l’expulsion des Walendu Pitsi des concessions convoitées. Ceux-ci ont cependant refusé de partir et des heurts ont éclaté avec les policiers venus les expulser. Plusieurs notables lendu, dont les chefs des collectivités des Walendu Pitsi et Walendu Djatsi ont été arrêtés pour vandalisme. En avril 1999, les concessionnaires hema-gegere ont payé des militaires de l’UPDF et de l’APC pour qu’ils attaquent les villages lendu situés sur les concessions en litige603.
366. Dans un tel climat, la nomination, en juin 1999, au poste de Gouverneur de la nouvelle province de la Kibali-Ituri604, d’Adèle Lotsove, une Hema du territoire de Djugu605, a été perçue par les Lendu de Djugu comme une provocation. Son arrivée en Ituri s’est accompagnée d’un déploiement des militaires ougandais sur les concessions litigieuses et du retrait des forces de police de la majeure partie du territoire de Djugu. Les Walendu Pitsi se sont organisés en groupes d’autodéfense et ont affronté les militaires de l’UPDF et les groupes d’autodéfense hema mis sur pied par les concessionnaires dans les collectivités des Walendu Pitsi, Walendu Djatsi, Walendu Tatsi et Ndo Okelo. Rapidement, les groupes d’autodéfense lendu et hema se sont transformés en milices communautaires et la population du territoire de Djugu a subi une première campagne d’épuration ethnique qui a fait des centaines de morts. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
- Entre juin et décembre 1999, les militaires de l’UPDF et de l’APC ont tué un nombre indéterminé de civils lendu dans les villages du territoire de Djugu se trouvant à proximité des concessions revendiquées par les exploitants hema-gegere. Les villages des groupements de Dz’na Buba, Linga, Jiba, Dhendo, Blukwa Mbi, Laudjo, Laudedjo Gokpa, Nyalibati et Gbakulu ont été particulièrement touchés. Les victimes étaient pour la plupart des Lendu mais des Hema ont aussi été tués lors des attaques. De nombreuses victimes sont mortes dans l’incendie de leur village ou à la suite de tirs à l’arme lourde sur leurs habitations. Certaines victimes ont été tuées par balle à bout portant606.
- Entre juin et décembre 1999, les miliciens lendu ont tué plusieurs dizaines de Hema-Gegere dans le village de Libi de la collectivité des Walendu Pitsi et dans celui de Fataki de la collectivité des Walendu Djatsi. Ces attaques ont entraîné le déplacement de la quasi-totalité des Hema-Gegere vivant dans la collectivité des Walendu Pitsi607.
- À compter de juin 1999, les groupes d’autodéfense lendu ont recruté dans leurs rangs de nombreux enfants et les ont utilisés lors de leurs attaques contre les localités hema. Les enfants étaient le plus souvent utilisés pour porter les biens pillés608.
- Le 20 juin 1999, des miliciens hema et des militaires de l’UPDF ont tué au moins 25 personnes, dont plusieurs civils, lors d’une attaque sur le village de Dhendro, dans la collectivité des Walendu Pitsi, à la frontière avec le groupement de Dhendro609.
- Le 14 septembre 1999, des miliciens lendu venant de la collectivité des Walendu Pitsi ont tué à l’arme blanche plusieurs centaines de Hema-Gegere, dont une majorité de civils, au cours d’attaques généralisées contre les localités du groupement de Dhendro, dans la collectivité Bahema-Nord. Les miliciens ont également pillé et incendié des dizaines de villages. Les victimes ont été enterrées dans des fosses communes. Selon plusieurs sources, ce massacre aurait eu lieu en représailles après l’attaque perpétrée le 20 juin par les miliciens hema sur le village de Dhendro610.
- Le 14 septembre 1999, lors d’une offensive nocturne contre le village de Fataki, dans la collectivité des Walendu Djatsi, des miliciens et des militaires hema de l’APC ont tué à l’arme blanche plusieurs dizaines de civils lendu, dont au moins 15 mineurs et plusieurs femmes. Les assaillants ont ensuite, eux-mêmes enterré les corps. À la suite de cette attaque, tous les Lendu ont quitté le village et Fataki est devenu un bastion hema dans la collectivité des Walendu Djatsi611.
367 Pendant les mois qui ont suivi, les miliciens lendu ont tenté à plusieurs reprises de reprendre Fataki. De son côté, l’UPDF a concentré des troupes à Fataki et Linga et mené plusieurs offensives contre les bases des milices lendu à Kpandroma et Rethy, dans la collectivité des Walendu Djatsi.
368. Au cours de la période considérée, les milices lendu ont aussi attaqué les villages du territoire de Djugu situés au bord du lac Albert, peuplés en majorité de Hema612. L’incident allégué suivant a été documenté :
- En juillet 1999, des miliciens lendu du groupement de Buba, dans la collectivité des Walendu Pitsi, ont tué plus d’une centaine de civils hema dans le village de pêcheurs de Musekere de la collectivité Bahema-Nord. Après avoir encerclé le village à l’aube et fait fuir les six militaires de l’APC qui s’y trouvaient, ils ont massacré la population à l’aide de machettes et autres armes blanches. Depuis le début du conflit, les dirigeants lendu du groupement de Buba avaient à plusieurs reprises menacé d’une attaque les habitants de Musekere613.
369. En octobre 1999, le RCD-ML a mis sur pied un Comité de pacification et de suivi614 et organisé plusieurs réunions intercommunautaires qui ont débouché sur la signature d’accords de paix entre les dirigeants des différentes communautés. Toutefois, tandis que le Comité de pacification déployé au nord du territoire de Djugu est parvenu à ramener le calme dans la région, des affrontements ont éclaté entre miliciens hema et lendu au sud du territoire dans les régions des collectivités des Walendu Djatsi, Banyari Kilo, Mabendi, Mambisa et Ndo Okebo. L’incident allégué suivant a été documenté :
- Le 1er décembre 1999, des miliciens lendu ont affronté des éléments de l’UPDF et des miliciens hema pour le contrôle de la ville minière de Bambou, dans la collectivité des Walendu Djatsi du territoire de Djugu. Les combats ont fait plus de 200 morts parmi la population civile. De nombreuses victimes ont été mutilées et la cité pillée. Les corps des victimes, pour la plupart, ont été jetés dans la rivière Chari615.
Fin 1999, les militaires ougandais et les responsables du RCD-ML616 ont tenté d’apaiser le conflit dans le territoire de Djugu. En novembre, le Président ougandais, Yoweri Museveni, a rencontré des représentants des communautés de l’Ituri. Le 16 décembre, Adèle Lotsove a cédé son poste de Gouverneur à Ernest Uringi Padolo, un membre de la communauté alur considérée comme neutre dans le conflit Hema/Lendu617. Le commandant de secteur qui avait mis à disposition des concessionnaires hema-gegere des militaires de l’UPDF pour attaquer les Walendu Pitsi a été remplacé. Ces initiatives ont permis de ramener le calme dans le district au cours de 2000, sans toutefois mettre un terme aux graves violations des droits de l’homme dans le territoire de Djugu. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
- En janvier 2000, des miliciens lendu venus des collectivités des Walendu Pitsi et Bahema-Nord ont attaqué les populations du groupement de Blukwa, tuant à l’arme blanche plusieurs centaines de Hema. Depuis septembre 1999, le groupement était le théâtre de violents affrontements interethniques. L’attaque de janvier a eu lieu après le départ des troupes de l’APC fuyant la violence croissante618.
- Le 26 avril 2000, des miliciens hema et des troupes de l’UPDF ont attaqué le groupement de Buba, dans la collectivité des Walendu Pitsi, faisant une dizaine de morts, parmi lesquels une majorité de civils lendu619.
- Entre le 27 août et le 12 septembre 2000, des miliciens hema venant de Mangala, Ghele, Gele et Liko, agissant parfois avec l’appui de militaires hema de l’APC, ont pillé et incendié plusieurs villages dans la collectivité des Walendu Djatsi parmi lesquels Mbau (27 août), Glakpa et Gobi (28 août), Logai (29 août), les villages du groupement de Dz’na (31 août) et Mayalibo (6-12 septembre)620.
____________________________