Section I > Chapitre III. Deuxième Guerre > B. Attaques contre les autres populations civiles > 3. Nord-Kivu
.
a) Ville de Goma, territoires de Masisi, Rutshuru, Walikale et Nyiragongo (Petit-Nord)
340. Le 2 août 1998, le général Sylvain Buki a lu un communiqué sur les ondes de la Radio-télévision nationale congolaise (RTNC) de Goma annonçant le déclenchement d’une mutinerie au sein des FAC. Tous les militaires de la 10e Brigade des FAC se sont mutinés et la ville de Goma est tombée aux mains de l’ANC et de l’APR sans véritable combat. Goma est ainsi restée hors d’atteinte des forces du Gouvernement de Kinshasa pendant pratiquement toute la période, c’est-à-dire entre août 1998 et janvier 2001. Pendant cette période les FAC ont bombardé la ville une fois. L’incident allégué suivant a été documenté :
- Le 11 mai 1999, un avion des FAC a bombardé plusieurs quartiers et communes de Goma, tuant et blessant une dizaine de civils, notamment dans le quartier Mukosasenge de la commune de Karisimbi523.
341. Dans les campagnes du Nord–Kivu, cependant, le parti-pris du RCD en faveur de la communauté tutsi locale, l’ingérence du Rwanda dans la gestion de la province et la brutalité des militaires de l’ANC et de l’APR envers les civils ont incité de nombreux Nord-Kivutiens à rejoindre les groupes armés Mayi-Mayi. Ces derniers ont noué une alliance avec les ex-FAR/Interahamwe et les éléments armés hutu regroupés depuis fin 1997 au sein de l’ALiR et multiplié les attaques contre les militaires de l’ANC/APR en utilisant comme arrière-bases les forêts des territoires de Walikale et Masisi ainsi que le parc national des Virunga.
342. Avec le soutien financier et les armes fournis par le Gouvernement de Kinshasa, les groupes Mayi-Mayi et l’ALiR ont multiplié les embuscades contre les militaires de l’ANC/APR et commis des actes de pillage à l’encontre de la population civile. Du fait de leur activisme, les militaires de l’ANC/APR n’ont pu contrôler qu’une partie des agglomérations. Face à cette situation, ils ont multiplié les opérations de ratissage dans les territoires de Masisi, Rutshuru et Walikale. De nombreux civils ont été pris pour cible en raison de leur appartenance ethnique, les Banyarwanda hutu étant systématiquement accusés de soutenir l’ALiR et les Hunde, les Nyanga et les Tembo de collaborer avec les groupes Mayi-Mayi. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
- Au cours d’août 1998, des militaires de l’ANC/APR ont tué un nombre indéterminé de Banyarwanda hutu dans la zone de Tanda, dans le territoire de Rutshuru. Les tueries ont eu lieu au cours d’une opération militaire organisée contre les éléments de l’ALiR qui opéraient dans la région524.
- Le 25 février 1999, des éléments de l’ANC/APR ont fait irruption au marché de Lukweti, dans le territoire de Masisi et ont ouvert le feu tuant 45 personnes, tous des civils525.
- Aux alentours du 8 août 1999, des éléments de l’ANC/APR ont tué au moins 17 civils dans le village d’Otobora du territoire de Walikale. Peu de temps avant ce massacre, de violents combats avaient opposé des Mayi-Mayi aux militaires de l’ANC/APR basés à Bunyakiri, dans le Sud-Kivu. Les victimes étaient pour la plupart des déplacés du village voisin de Hombo526.
- Le 12 août 1999, des éléments de l’ANC/APR ont tué au moins 44 civils, dont une majorité de femmes et d’enfants d’ethnie tembo dans le village de Miano du territoire de Masisi. Ils ont également mutilé un nombre indéterminé de personnes et détruit le poste sanitaire local. Les victimes ont, pour la plupart, été tuées sur la base de leur origine ethnique, les Tembo étant souvent assimilés aux groupes Mayi-Mayi combattant les troupes de l’ANC/APR dans la région527.
- Vers le 23 novembre 1999, des éléments de l’ANC/APR ont tué un nombre indéterminé de civils dans le village de Ngenge du territoire de Walikale en ouvrant le feu sans discrimination sur les habitants. Le 24 novembre, les militaires de l’ANC/APR ont battu à mort un groupe de notables du village. Les mêmes militaires ont tué des civils dans les villages avoisinants de Kangati et Kaliki528.
- Le 5 février 2000, des éléments de l’ANC/APR ont massacré au moins une trentaine de personnes dans le village de Kilambo du territoire de Masisi. Une ONG locale a identifié 27 victimes. Selon plusieurs témoins, d’autres massacres auraient eu lieu à la même époque dans les environs de Kilambo, portant le nombre total de victimes à près de 60529.
343. Au cours de cette période, les membres de l’ALiR ont aussi attaqué des civils dans les territoires de Walikale et Masisi. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
- En janvier 2000, des éléments de l’ALiR ont tué une centaine de civils dans le village de Luke et ses environs. Les miliciens avaient accusé les victimes de collaborer avec les forces de l’ANC/APR. La plupart des victimes auraient été tuées à coups de machette ou par balle. Les miliciens ont aussi pillé le village530.
- Le 9 juillet 2000, des éléments de l’ALiR ont tué entre 34 et 42 civils lors d’une attaque contre un camp de déplacés à Sake. Les victimes, en majorité des ethnies hunde et tembo, étaient pour la plupart des femmes et des enfants531.
b) Territoires de Beni et Lubero (Grand-Nord)
344. Le 7 août 1998, l’UPDF a pris sans combattre le contrôle de la ville de Beni et de sa région. Au cours des mois suivants, cependant, de nombreux jeunes locaux ont rejoint les groupes Mayi-Mayi opérant dans les territoires de Beni et Lubero. Avec l’aide financière et l’armement fournis par le Gouvernement de Kinshasa, ces groupes Mayi-Mayi se sont renforcés et ont multiplié les attaques contre les convois militaires de l’UPDF circulant entre Beni et Butembo et dans la partie nord-ouest de ces deux villes. Le 14 novembre 1999, les combattants Mayi-Mayi ont attaqué les troupes ougandaises à Beni, tuant plusieurs soldats ainsi qu’un colonel de l’UPDF.
345. Sur fond de rivalité pour le contrôle des ressources agropastorales et minières de la région et le contrôle de la région en vue des négociations de paix, les groupes Mayi-Mayi du Grand-Nord sont rapidement entrés en conflit. De violents affrontements ont notamment éclaté entre les Mayi-Mayi Vurondo du chef Lolwako Poko Poko et ceux du chef Mudohu.
346. En 2000, les tentatives faites par le RCD-ML pour reprendre le contrôle des Mayi-Mayi Vurondo et les intégrer dans l’Armée patriotique congolaise (APC), la branche armée du RCD-ML, ont échoué et débouché sur de nouveaux incidents. En août, les Mayi-Mayi Vurondo, qui avaient été regroupés par l’APR à Lubero afin de suivre une formation militaire dispensée par les militaires de l’UPDF, se sont révoltés. L’incident allégué suivant a été documenté :
- Les 25 et 26 août 2000, les affrontements entre les Mayi-Mayi Vurundo et les troupes de l’APC/UPDF dans le village de Lubero ont fait des dizaines de morts parmi les Mayi-Mayi ainsi qu’un nombre indéterminé de victimes parmi les civils. Certaines sources avancent le nombre de 17 civils tués et de 7 prisonniers Mayi-Mayi exécutés sommairement532.
347. À la suite de ces incidents, les Mayi-Mayi ont repris et intensifié leurs attaques contre des convois de l’UPDF entre Beni et Butembo. En représailles, les forces de l’UPDF ont mené des opérations contre les villages soupçonnés d’abriter les groupes Mayi-Mayi. Au cours de ces attaques, les militaires de l’UPDF ont souvent fait un usage disproportionné de la force, tuant sans discrimination combattants et civils. L’incident allégué suivant a été documenté :
- Le 1er novembre 2000, les militaires de l’UPDF ont tué entre sept et onze personnes au cours d’une attaque contre la population des villages de Maboya et Loya, à 16 kilomètres au nord de la ville de Butembo. Quelques heures avant l’attaque, quatre militaires de l’UPDF avaient été tués par des Mayi-Mayi Vurondo lors d’une embuscade près du village de Maboya. Dans l’après-midi, des militaires de l’UPDF ont attaqué sans discrimination les habitants des deux villages et incendié 43 maisons. Certaines victimes ont été tuées par balle et d’autres sont mortes brûlées vives533.
348. Le 8 novembre 2000, près du village de Butuhe, à 10 kilomètres au nord de Butembo, les Mayi-Mayi Vurondo ont attaqué un convoi de l’UPDF qui escortait des camions transportant des minerais. L’incident allégué suivant a été documenté :
- Le 9 novembre 2000, des militaires de l’UPDF ont tué sans discrimination 36 personnes dans le village de Kikere, à proximité de Butuhe, au nord de Butembo. Les militaires ont tiré aveuglément sur les civils au fusil et au lance-roquettes. Certains civils sont morts brûlés vifs dans leurs maisons. Les militaires ont aussi tué systématiquement les animaux domestiques et détruit les biens des civils534.
348. Dans la ville de Beni, les militaires de l’UPDF ont fait régner un climat de terreur pendant plusieurs années en toute impunité. Ils ont procédé à des exécutions sommaires de civils, ont détenu arbitrairement de nombreuses personnes et leur ont fait subir des tortures et divers autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ils ont notamment introduit un nouveau mode de détention particulièrement cruel en mettant les détenus dans des trous de deux ou trois mètres de profondeur creusés dans la terre, où les prisonniers devaient vivre exposés aux intempéries, sans hygiène et sur un sol boueux. L’incident allégué suivant a été documenté :
- En mars 2000, des militaires de l’UPDF ont tué quatre civils et en ont blessé plusieurs dans la ville de Beni lors d’une opération de répression contre une manifestation. Les victimes avaient protesté contre l’assassinat d’une femme, l’arrestation arbitraire de son mari et le pillage de leur maison, commis quelques jours plus tôt par des militaires de l’UPDF535.
350. Au cours de la période considérée, les militaires de l’UPDF ont mené plusieurs opérations contre un groupe armé d’origine ougandaise, les ADF/NALU (Allied Democratic Forces–National Army for the Liberation of Uganda536) basé dans le massif des Ruwenzori, dans le territoire de Beni. De leur côté, les troupes des ADF/NALU ont commis des attaques contre les villages de la région des Ruwenzori, kidnappant de nombreux civils et pillant leurs biens. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
- En 2000, au nord de Beni, des éléments des ADF/NALU ont tué, enlevé et réduit en esclavage des centaines de civils et pratiqué sur une grande échelle le recrutement forcé d’enfants. En janvier, ils ont ainsi enlevé plus de 100 personnes à Mutwanga, dans le territoire de Beni. En avril, ils ont attaqué des villages dans les environs de Mutwanga, tuant un nombre indéterminé de civils et en enlevant des centaines d’autres. Les miliciens ont aussi enlevé des dizaines de mineures et les ont utilisées comme esclaves sexuelles pendant plusieurs années537.
- En 2000 également, des éléments des ADF/NALU ont tué et enlevé un nombre indéterminé de civils dans la ville de Bulongo, au pied du massif des Ruwenzori. Les personnes enlevées ont été forcées de porter sur une longue distance les biens pillés dans la ville. Au cours des marches forcées, qui pouvaient durer plusieurs semaines, de nombreux civils sont morts d’épuisement ou ont été exécutés. Les ADF/NALU ont gardé les survivants dans leur camp. Ils ont enrôlé de force les hommes et les garçons et ont utilisé les femmes et les filles comme domestiques et esclaves sexuelles. La plupart des victimes ont souffert de malnutrition et ont subi des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Beaucoup sont mortes en détention. Certaines victimes ont réussi à s’enfuir mais souffrent toujours de graves séquelles538.
___________________________