SECTION I > CHAPITRE I. : Échec du Processus de Démocratisation et Crise Régionale > D. Reste du pays
174. Au cours de cette période, certaines provinces ont connu un processus de démocratisation chaotique accompagné d’une montée de la xénophobie qui s’est soldée par des persécutions contre les « non-originaires » et des actes de violences à l’encontre des opposants. Le bras de fer politique entre le Président Mobutu et Étienne Tshisekedi de l’UDPS et la manipulation du sentiment régionaliste et tribaliste par les acteurs politiques locaux ont donné lieu à de nombreux abus et actes de violences à l’encontre des opposants et des non originaires dans les différentes provinces.
Bas-Zaïre (Bas-Congo)
En 1994, le Gouverneur de la province du Bas-Zaïre, M. Bieya Mbaki, a tenu plusieurs réunions publiques, en particulier au mois de septembre, au cours desquelles il a incité les autochtones de la province à se débarrasser de tous les « non originaires » occupant des postes importants dans la région. Utilisant des slogans xénophobes et incitant à la haine ethnique, le Gouverneur et les autorités locales auraient expulsé plusieurs ressortissants des Kasaï et ont lancé un ultimatum aux « non originaires » afin qu’ils quittent la province avant le 24 novembre 1994 (date d’anniversaire du coup d’état de Mobutu, le 24 novembre 1965). On peut citer à titre d’exemple de cette campagne de persécution les deux incidents allégués suivants:
- Au mois de juillet 1994, l’entreprise publique Régie des voies maritimes a licencié plusieurs employés « non originaires ». Au cours des mois suivants, la population a chassé deux magistrats « non originaires » parmi lesquels le Président du tribunal de paix de Luozi144.
- Le 15 octobre 1994, des éléments des forces de sécurité zaïroises ont expulsé 14 familles « non originaires » parmi lesquelles des Baluba (des Kasaï) et des Bangala (de l’Équateur) de la province du Bas-Zaïre145.
Province Orientale
- En 1995, le Gouverneur et les autorités locales de la province Orientale ont suspendu arbitrairement plusieurs magistrats et fait expulser de la province un dirigeant local de l’UDPS. Les victimes étaient toutes des ressortissants des Kasaï connus pour leur engagement au sein de l’opposition politique et de la société civile146.
- Entre 1995 et 1996, des éléments des services de sécurité ont investi à plusieurs reprises, sur ordre du Gouverneur, le domicile de certains intellectuels et membres du clergé accusés de soutenir l’opposition147.
Maniema
176. Au cours de cette période, les changements politiques en cours à Kinshasa n’ont eu qu’un impact tardif et limité sur le Maniema. La province est restée sous le contrôle du Gouverneur Omari Léa Sisi et du Mouvement pour la révolution (MPR), le parti du Président Mobutu. En 1994, face aux tentatives de l’opposition de s’organiser sur le terrain, le Gouverneur a demandé le déploiement d’un contingent de la Garde civile afin de venir renforcer la garnison de la gendarmerie nationale. Au cours de l’année 1995, la gendarmerie et la Garde civile auraient commis des dizaines de viols, fait subir des tortures et des traitements cruels, inhumains et dégradants à de nombreux civils et pillé un grand nombre de biens. Les rapports publics ont mentionné l’existence de dizaines de cas graves. Deux cas illustratifs allégués ont pu être documentés l’Équipe Mapping.
- Le 6 février 1995 à Kampene, dans le territoire de Pangi, des éléments de la Garde civile ont violé un nombre indéterminé de femmes et pillé toutes les boutiques du marché. La Garde civile avait été déployée à Kampene afin d’enquêter sur la destruction de l’église CELPA par des membres de la communauté Rega148.
- Le 7 février 1995, des éléments de la Garde civile ont violé un nombre indéterminé de femmes et pillé le village de Tchoko dans le territoire de Kailo, près de Kindu. L’incident a eu lieu après que des villageois ont battu un membre de la Garde civile en conflit avec un paysan du village149.
Kasaï occidental
177. Tandis que le Zaïre s’enfonçait plus que jamais dans la crise économique, le gouvernement Birindwa a lancé en octobre 1993 une réforme monétaire et introduit une nouvelle devise, le « Nouveau Zaïre ». L’usage de cette monnaie a cependant été aussitôt contesté par Étienne Tshisekedi et l’Église catholique. Dans les fiefs de l’opposition, comme les deux provinces des Kasaï, la population s’est mobilisée pour faire échec à la réforme monétaire. Face à cette situation, le Président Mobutu a envoyé des renforts militaires dans la province du Kasaï occidental. L’incident allégué suivant a été documenté :
- À partir du 29 novembre 1993 et au cours du mois de décembre suivant, à Kananga, des militaires de la Division spéciale présidentielle (DSP) ont tué six civils dont un prêtre de l’Église catholique et pillé de nombreux établissements catholiques parmi lesquels la procure Saint-Clément ainsi que plusieurs grands magasins comme Africa Luxe, Ruff Congo et Simis. Cette attaque délibérée qui a surtout touché les membres et les biens du clergé catholique a été perpétrée dans un contexte où le Président Mobutu reprochait à la hiérarchie catholique de faire campagne contre l’utilisation du « Nouveau Zaïre »150.
__________________________