Résumé Exécutif > Violations les plus graves
I. Inventaire des violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la RDC entre mars 1993 et juin 2003
15. La période couverte par le présent rapport, de mars 1993 à juin 2003, constitue probablement l’un des chapitres les plus tragiques de l’histoire récente de la RDC. Ces dix années ont, en effet, été marquées par une série de crises politiques majeures, de guerres et de nombreux conflits ethniques et régionaux qui ont provoqué la mort de centaines de milliers, voire de millions, de personnes. Rares ont été les civils, congolais et étrangers, vivant sur le territoire de la RDC qui ont pu échapper à ces violences, qu’ils aient été victimes de meurtres, d’atteintes à leur intégrité physique, de viols, de déplacements forcés, de pillages, de destructions de biens ou de violations de leurs droits économiques et sociaux. Le but ultime de cet inventaire, mis à part sa contribution historique à la documentation de ces graves violations et à l’établissement des faits survenus durant cette période, consiste à fournir aux autorités congolaises des éléments pour les aider à décider de la meilleure approche à adopter pour rendre justice aux nombreuses victimes et combattre l’impunité qui sévit à cet égard.
16. Le rapport du Projet Mapping est présenté de façon chronologique, reflétant quatre grandes périodes de l’histoire récente de la RDC, chacune précédée d’une introduction expliquant le contexte politico-historique dans lequel les violations ont été commises. Chaque période est divisée par province et parfois subdivisée par groupe de victimes et présente la description des violations commises, les groupes prétendument impliqués et le nombre approximatif de victimes.
A. Mars 1993–juin 1996: échec du processus de démocratisation et crise régionale
17. La première période couvre les violations commises au cours des dernières années de pouvoir du Président Mobutu et est marquée par l’échec du processus de démocratisation et les conséquences dévastatrices du génocide survenu au Rwanda sur l’État zaïrois en déliquescence, en particulier dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Au cours de cette période, 40 incidents ont été répertoriés. Les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire se sont concentrées pour l’essentiel au Katanga, au Nord-Kivu et dans la ville province de Kinshasa.
B. Juillet 1996–juillet 1998: première guerre et régime de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL)
18. La deuxième période s’intéresse aux violations qui auraient été perpétrées pendant la première guerre et la première année du régime mis en place par le Président Laurent-Désiré Kabila et répertorie le plus grand nombre d’incidents de toute la décennie examinée, soit 238. Les informations disponibles aujourd’hui suggèrent l’importance du rôle des États tiers dans la première guerre et leur implication directe dans cette guerre qui a mené au renversement du régime de Mobutu18 . Au début de la période, des violations sérieuses ont été commises à l’encontre de civils tutsi et banyamulenge19, principalement au Sud-Kivu. Puis cette période a été caractérisée par une apparente poursuite impitoyable et des massacres de grande ampleur (104 incidents répertoriés) de réfugiés hutu, de membres des anciennes Forces armées rwandaises (appelées par la suite ex-FAR) ainsi que de milices impliquées dans le génocide de 1994 (les Interahamwe) prétendument par les forces de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL). Une partie des troupes, de l’armement et de la logistique étaient aparemment fournis par l’Armée patriotique rwandaise (APR), par la « Uganda People’s Defence Force » (UPDF) et par les Forces armées burundaises (FAB) à travers tout le territoire congolais. Les réfugiés hutu, que les ex-FAR/Interahamwe semble avoir parfois encadrés et employés comme boucliers humains au cours de leur fuite, ont alors entrepris un long périple à travers le pays qu’ils ont traversé d’est en ouest en direction de l’Angola, de la République centrafricaine ou de la République du Congo. Cette période aurait également été marquée par de graves attaques contre les autres populations civiles, dans toutes les provinces sans exception, notamment par les Forces armées zaïroises (FAZ) en repli vers Kinshasa, les ex-FAR Interahamwe fuyant devant l’AFDL/APR et les Mayi-Mayi20.
C. Août 1998–janvier 2000 : deuxième guerre
19. La troisième période dresse l’inventaire des violations commises entre le déclenchement de la deuxième guerre, en août 1998, et la mort du Président Kabila. Cette période comporte 200 incidents et est caractérisée par l’intervention sur le territoire de la RDC des forces armées régulières de plusieurs États, combattant avec les Forces armées congolaises (FAC) [Zimbabwe, Angola et Namibie] ou contre elles, en plus de l’implication de multiples groupes de miliciens et de la création d’une coalition regroupée sous la bannière d’un nouveau mouvement politico-militaire, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), qui se scindera à plusieurs reprises. Durant cette période la RDC fut la proie de plusieurs conflits armés: « Certains (…) internationaux, d’autres internes et (…) des conflits nationaux qui ont pris une tournure internationale. Au moins huit armées nationales et 21 groupes armés irréguliers prennent part aux combats »21. Malgré la signature à Lusaka, le 10 juillet 1999, d’un accord de cessez -le-feu22 entre toutes les parties23 prévoyant le respect du droit international humanitaire par toutes les parties et le retrait définitif de toutes les forces étrangères du territoire national de la RDC, les combats ont continué tout comme les graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire prétendument par toutes les parties au conflit. Le 16 juin 2000, le Conseil de sécurité, dans sa résolution 1304 (2000), a demandé à toutes les parties de cesser les combats et exigé que le Rwanda et l’Ouganda se retirent du territoire de la RDC dont ils avaient violé la souveraineté. Il faudra pourtant attendre 2002, suite à la signature de deux nouveaux accords, celui de Pretoria avec le Rwanda et celui de Luanda avec l’Ouganda, pour que s’amorce le retrait des ces forces étrangères du pays24.
20. Cette période a été marquée par des attaques contre les civils de morphologie tutsi, notamment à Kinshasa, au Katanga, en province Orientale, dans les deux Kasaï, au Maniema et au Nord-Kivu. Dans le contexte de la guerre et des conflits sur l’ensemble du territoire, la population civile en général a été victime de graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire prétendument par toutes les parties aux conflits et sur tout le territoire, mais particulièrement au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, en province Orientale, notamment en Ituri, au Katanga, en Équateur ainsi qu’au Bas-Congo.
D. Janvier 2001–juin 2003 : vers la transition
21. Enfin, la dernière période répertorie 139 incidents qui décrivent les violations perpétrées malgré la mise en place progressive d’un cessez-le-feu le long de la ligne de front et l’accélération des négociations de paix en vue du lancement de la période de transition, le 30 juin 2003. Durant cette période, les violences qui ont secoué la province de l’Ituri, notamment les conflits ethniques entre les Lendu et les Hema, ont atteint un seuil d’intensité inconnu jusqu’alors. La période a été marquée par un conflit ouvert entre les Forces armées congolaises (FAC) et les forces Mayi-Mayi dans la province du Katanga. Comme lors des périodes précédentes les populations civiles de tout le territoire ont été les principales victimes des parties aux conflits, notamment en province Orientale, au Nord-Kivu, au Sud-Kivu, au Maniema ainsi qu’au Kasaï oriental.
E. Qualification juridique des violences commises sur le territoire de la RDC entre mars 1993 et juin 2003
22. Force est de constater que la vaste majorité des 617 incidents les plus graves inventoriés dans le présent rapport pourraient, s’ils sont dument enquêtés et prouvés devant un tribunal compétent, suggérer la commission de multiples violations des droits de l’homme mais surtout du droit international humanitaire. Il n’est apparu ni opportun ni indispensable de qualifier en droit chacun des centaines d’incidents violents répertoriés. Il a ainsi été convenu d’identifier plutôt le cadre juridique applicable aux principales vagues de violence et de donner des indications sur la qualification juridique générale possible des incidents ou groupes d’incidents rapportés.
Crimes de guerre
23. On entend généralement par ce terme toutes violations graves du droit international humanitaire commises à l’encontre de civils ou de combattants ennemis à l’occasion d’un conflit armé international ou interne, violations qui entraînent la responsabilité pénale individuelle de leurs auteurs. Ces crimes découlent essentiellement des Conventions de Genève du 12 août 1949 et de leurs Protocoles additionnels I et II de 1977 et des Conventions de La Haye de 1899 et 1907. Leur codification la plus récente se trouve à l’article 8 du Statut de Rome25 de la Cour pénale internationale (CPI) de 1998.
24. La vaste majorité des incidents répertoriés dans le présent rapport pourraient, s’ils sont dûment enquêtés et prouvés devant un tribunal compétent, révèler la commission d’actes prohibés tel que meurtres, atteintes à l’intégrité physique ou à la santé, viols, attaques intentionnelles contre la population civile, pillages et destructions de biens civils, parfois indispensables à la survie de la population civile, de façon illicite et arbitraire. Ces actes ont été commis en grande majorité contre des personnes protégées telles que définies par les Conventions de Genève, notamment des personnes qui ne participent pas aux hostilités, particulièrement les populations civiles, ainsi que celles mises hors de combat. C’est le cas notamment des personnes vivant dans les camps de réfugiés qui constituent une population civile ne participant pas aux hostilités, malgré la présence de militaires parmi eux dans certains cas. Finalement, nul doute que les violents incidents répertoriés dans le présent rapport s’inscrivent pour la presque totalité dans le cadre d’un conflit armé, qu’il soit de caractère international ou non. La durée et l’intensité des violents incidents décrits, de même que l’apparent niveau d’organisation des groupes impliqués pourrait mener à la conclusion selon laquelle il s’agit bien, à quelques exceptions près, d’un conflit interne et non de simple troubles ou tensions internes ou d’actes de banditisme. En conclusion, la grande majorité des violents incidents répertoriés dans le présent rapport résultent de conflits armés et, s’ils sont prouvés devant un tribunal compétent, révéleront la commission de crimes de guerre en tant que violations graves du droit international humanitaire.
Crimes contre l’humanité
25. La définition de ce terme a été codifiée au paragraphe 1 de l’article 7 du Statut de Rome de la CPI. Lorsque des actes tels que le meurtre, l’extermination, le viol, la persécution et tous autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale sont commis « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque », ils constituent des crimes contre l’humanité.
26. Le présent rapport montre que la grande majorité des incidents répertoriés, s’ils faisaient l’objet d’enquêtes et étaient prouvés devant un tribunal compétent, s’inscrit dans le cadre d’attaques généralisées ou systématiques, dépeignant de multiples actes de violence de grande ampleur, menés apparemment de manière organisée et ayant causé de nombreuses victimes. La plupart de ces attaques ont été lancées contre des populations civiles non combattantes composées en majorité de femmes et d’enfants. En conséquence, la très plupart des actes de violence perpétrés durant ces années, qui s’inscrivent dans des vagues de représailles, des campagnes de persécution et de poursuite de réfugiés, se sont généralement toutes transposées en une série d’attaques généralisées et systématiques contre des populations civiles et pourraient ainsi être qualifiées de crimes contre l’humanité par un tribunal compétent.
Crimes de génocide
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