Section I > CHAPITRE IV. Janvier 2001-juin 2003 : Vers la Transition > F. Maniema
449. À compter de 2001, les groupes Mayi-Mayi du Maniema ont multiplié les attaques contre les troupes de l’ANC/APR. En réaction, l’ANC/APR a mis sur pied des forces d’autodéfense populaires composées de jeunes miliciens congolais. Contrainte de choisir l’un ou l’autre camp, la population civile a été systématiquement prise pour cible par l’ANC/APR et les Mayi-Mayi.
450. Depuis février 2001, les Mayi-Mayi et les troupes de l’ANC/APR s’affrontaient pour le contrôle du village de Kasenga Numbi, à 22 kilomètres de Kindu. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
- En mars 2001, des éléments de l’ANC/APR ont enlevé cinq civils dans la localité de Kasenga Numbi du territoire de Kailo et les ont tués au motif qu’ils soutenaient les Mayi-Mayi. Deux jours plus tard des éléments des groupes Mayi-Mayi se sont rendus dans le village de Kasenga Numbi et ont enterré vivant un civil accusé d’espionner pour le compte du RCD-Goma. Avant de l’enterrer, les Mayi-Mayi ont amputé la victime d’une oreille, ont forcé sa femme à la faire frire et ont finalement obligé la victime à consommer sa propre chair831.
- Dans la nuit du 3 au 4 juillet 2001, sur ordre du conseil de sécurité de la ville de Punia présidé par l’Administrateur de territoire, des éléments de l’ANC/APR ont exécuté un commerçant en minerais et douze porteurs à Punia. Les victimes étaient arrivées à Punia le 30 juin en compagnie de deux autres commerçants, avec une importante cargaison de coltan et d’or ainsi qu’une grande quantité d’argent liquide. Accusées d’être des espions travaillant pour le compte des Mayi-Mayi, les victimes ont été arrêtées et détenues à la prison centrale dite « Kigali ». Deux commerçants ont survécu et ont été libérés après avoir passé deux mois et demi en prison832.
- Le 15 septembre 2001, des éléments de l’ANC/APR ont pilonné à l’arme lourde le village de Lubao, dans le territoire de Kailo, tuant six civils et en blessant grièvement huit. L’attaque visait à chasser les Mayi-Mayi de Kabambe de Lubao. Ces derniers ont cependant repris le contrôle du village dès le lendemain. Le 10 octobre 2001, les troupes de l’ANC/APR ont lancé une nouvelle attaque sur le village, tuant quatre civils et pillant des biens833.
- En novembre 2001, des éléments de l’ANC/APR ont tué au moins 12 personnes dans le village de Nyoka, à 19 kilomètres de Kindu, dans le territoire de Kailo. Accusées de soutenir les Mayi-Mayi, les victimes ont été fusillées pendant la nuit. Une personne est parvenue à s’échapper. Le sort de deux civils arrêtés en même temps que les victimes mais restés dans le cachot la nuit de l’exécution reste inconnu à ce jour834.
- Le 29 décembre 2001, à la suite de la brève incursion des Mayi-Mayi dans la ville de Kindu, des éléments de l’ANC/APR ont tué sept civils au cours d’une opération de ratissage dans le quartier de Basoko835.
- En 2002, à Yumbi, à 35 kilomètres de Punia, des éléments de l’ANC/APR ont tué par balle une vingtaine de civils, en représailles à l’assassinat par des éléments Mayi-Mayi de l’Administrateur de territoire de Punia. Les victimes ont été tuées après que les forces de l’ANC/APR eurent chassé les Mayi-Mayi du village836.
- Le 17 janvier 2002, des éléments Mayi-Mayi ont enterré vivants 15 civils à Lubelenge, dans le territoire de Kailo. Les victimes appartenaient à un groupe de 40 personnes qui se rendaient de Kibombo à Kindu. Après avoir intercepté le groupe, les Mayi-Mayi ont séparé les femmes des hommes. Ces derniers, au nombre de 15, ont été contraints de creuser chacun une fosse puis ont été enterrés vivants sous les yeux des femmes, dont beaucoup étaient mariées aux victimes. Les 25 femmes ont finalement été relâchées837.
- En avril 2002, des éléments de l’ANC/APR ont incendié 64 maisons dans le village de Makali, à 12 kilomètres de Kindu, dans le territoire de Kailo. Les militaires considéraient le village comme un fief Mayi-Mayi. Peu de temps avant l’incident, le convoi du Gouverneur de la province, escorté par ces éléments ANC/APR, avait été attaqué par les Mayi-Mayi dans le village de Lengwa, à 9 kilomètres de Kindu. Seule l’église de Makali a été épargnée838.
- Au cours d’avril 2002, dans la ville de Kasongo, chef-lieu du territoire du même nom, des éléments de l’ANC/APR ont brûlé vifs quatre membres d’un groupe Mayi-Mayi mis hors de combat. Les victimes, capturées lors des attaques Mayi-Mayi contre Kasongo, ont toutes été suppliciées au niveau de l’hôtel Palace839.
451. En mai 2002, des Mayi-Mayi basés à Kampene et les troupes de l’ANC/APR basées à Kasongo se sont affrontés dans le territoire de Pangi. L’incident allégué suivant a été documenté :
- En mai 2002, des éléments de l’ANC/APR ont tué plus d’une cinquantaine de personnes dans le village de Kitangi, à 15 kilomètres de Kampene, dans le territoire de Pangi. La tuerie a eu lieu après que les Mayi-Mayi eurent été chassés du village par l’ANC/APR. Plutôt que de rentrer directement à Kitangi, les militaires de l’ANC/APR se sont déguisés en combattants Mayi-Mayi. Après avoir constaté l’enthousiasme de la population à leur arrivée sous un tel déguisement, ils ont arrêté un grand nombre de civils, parmi lesquels des villageois mais aussi de simples passants raflés le long des routes. Les victimes ont été tuées pour la plupart d’un coup de pilon sur la nuque. En 2003, les villageois ont trouvé les crânes de plus de 50 personnes, dont 17 seulement ont pu être identifiées840.
452. À compter de 2001, les groupes Mayi-Mayi ont organisé un blocus autour de Kindu afin de gêner le ravitaillement de l’ANC et de forcer l’APR à quitter la ville, ce qui a créé une situation de pénurie alimentaire permanente. La population de la ville, accusée de soutenir les Mayi-Mayi, a subi de nombreuses exactions de la part des troupes de l’ANC/APR/FRD841 et de leurs alliés des forces d’autodéfense populaires. Elle a également été victime de fréquentes attaques de la part des Mayi-Mayi dont beaucoup d’éléments se comportaient comme des criminels. Afin de contrer le blocus, les troupes de l’ANC/FRD ont lancé, en amont et en aval de Kindu, une opération baptisée « Kangola Nzela » (ouvrez la porte). Au cours de cette opération, les populations civiles vivant autour de Kindu ont été assimilées aux Mayi-Mayi et prises directement pour cibles par les militaires. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
- Entre le 28 août et la première semaine de septembre 2002, des éléments de l’ANC/FRD ont tué plus de 100 personnes, dont des femmes et des enfants, sur les îles de Nyonga et Katangila et dans le village de Keko, dans la collectivité de Basongola du territoire de Kailo. Après qu’une de leurs pirogues eut été attaquée, les militaires ont lancé une offensive sur l’île de Katangila, tuant au moins 21 civils, dont des femmes et des enfants. Revenus sur la rive droite, les militaires ont rassemblé les civils des villages de Hongelo, Okoko, Lubende, Kaseke et Nyonga et les ont emmenés sur l’île de Nyonga. Le 30 août, les militaires ont séparé les hommes des femmes et des enfants et ont tué une cinquantaine d’hommes. Certaines des victimes ont été tuées par balle, d’autres à coups de pioche ou de machette. Leurs ossements sont encore visibles en divers endroits de l’île. Après cette tuerie, les militaires ont incendié de nombreux villages. Les femmes et les enfants déportés sur l’île de Nyonga ont finalement été emmenés à Kindu. Au cours de la même période, les militaires de l’ANC/FRD ont aussi arrêté de nombreux civils dans les forêts autour du village de Keko. Après lesavoir ramenés au village, ils ont tué la dizaine d’hommes qui se trouvaient dans le groupe842.
- Entre juin et octobre 2002, des éléments des groupes Mayi-Mayi ont enlevé et réduit en esclavage entre 200 et 300 personnes, dont des femmes et des enfants, dans leur camp de Kipala, à 29 kilomètres de Kindu. Ils ont aussi fouetté et tué à la machette cinq civils qui avaient refusé de participer à des travaux forcés. Les victimes ont été détenues par les Mayi-Mayi pendant deux semaines avant d’être relâchées. Des cas similaires d’enlèvements et de traitements cruels, inhumains ou dégradants ont été observés dans le territoire de Pangi. Plusieurs dizaines de civils, dont des femmes et des enfants, ont ainsi été enlevés dans les villages d’Avanga et Amikupi et réduits en esclavage par les Mayi-Mayi à Mimbite et Lumembe843.
453. Le 30 juillet 2002, les Présidents Kabila et Kagame ont conclu à Pretoria un accord prévoyant le retrait des FRD du territoire congolais et le démantèlement des ex-FAR/Interahamwe sur une période de 90 jours. Au cours des semaines qui ont suivi, Kinshasa a interdit les activités politiques des FDLR sur le territoire sous son contrôle. Entre le 17 et le 18 septembre, les FRD ont quitté Kindu et la ville minière de Kalima. Le
- septembre, les groupes Mayi-Mayi actifs autour de Kindu ont conclu avec les responsables du RCD-Goma un accord de cessez-le-feu aussitôt salué par la population. Dans la journée, cependant, un incident isolé entre des éléments Mayi-Mayi et des militaires de l’ANC a dégénéré en de nouvelles violences. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
- À compter du 19 ou 20 septembre 2002, des éléments de l’ANC et de leurs alliés des forces d’autodéfense locales ont tué plus d’une centaine de civils dans le quartier de Brazza de la ville de Kindu, notamment au niveau d’une barrière érigée pour filtrer les villageois rentrant des champs. Au cours des mois précédents, le quartier de Brazza avait déjà été le théâtre d’affrontements réguliers entre des Mayi-Mayi et les troupes de l’ANC/APR/FRD. Au moins 40 corps ont été trouvés sur le boulevard Joseph Kabila et plus de 70 sur la route de Lwama844.
- Entre septembre et octobre 2002, des éléments de l’ANC et de leurs alliés des forces d’autodéfense locales ont exécuté 20 civils, dont un bébé et de jeunes écoliers, dans la commune d’Alunguli de la ville de Kindu. Les victimes se rendaient au centre ville de Kindu après avoir appris que les Mayi-Mayi et le RCD avaient conclu un cessez-le-feu. Ils ont été interceptés au niveau de la barrière d’Alunguli et exécutés à l’arme blanche au motif qu’ils collaboraient avec les Mayi-Mayi. Deux fosses communes contenant 9 et 11 corps ont été découvertes en 2007 dans la commune845.
- Le 22 septembre 2002, des éléments de l’ANC et de leurs alliés des forces d’autodéfense locales ont tué sept civils au cours d’une opération de ratissage dans le quartier de Tokolote de la ville de Kindu. Cinq des victimes ont été arrêtées à leur domicile pendant la nuit et exécutées au motif qu’elles collaboraient avec les Mayi-Mayi. En 2006, la population locale a découvert la fosse commune contenant leurs corps. Un dossier a été ouvert en 2004 sur ce cas au niveau de l’auditorat militaire mais aucun procès n’a jamais eu lieu846.
- Le 25 septembre 2002, des éléments de l’ANC ont tué 19 civils, dont des femmes et des enfants, dans l’église les Apôtres, dans le village de Songwe, à 24 kilomètres au sud de Kindu, dans le territoire de Kailo. Les victimes étaient accusées par les militaires d’être des Mayi-Mayi. Treize civils ont réussi à s’échapper mais les autres ont été tués par balle au sein même de l’église. Les corps des victimes ont été enterrés par les villageois dans cinq fosses communes847.
- Le 25 septembre 2002 également, des éléments de l’ANC ont tué 22 civils, dont des femmes et des enfants, dans les villages de Katalama et Mongali, à 14 kilomètres de Kindu. Ces tueries ont eu lieu après que l’ANC eut chassé les Mayi-Mayi de ces villages. À Katalama, les militaires de l’ANC ont trouvé six femmes cachées dans leurs maisons qui ont accepté de les aider à faire sortir les autres villageois de leurs cachettes. Les militaires ont ensuite demandé aux 17 civils de se rassembler en vue d’un recensement et les ont tués par balle. Dans le village voisin de Mongali, les troupes de l’ANC ont trouvé cinq civils qu’ils ont accusés de collaborer avec les Mayi-Mayi et ils les ont tués848.
- Vers la fin de 2002 et le début de 2003, des éléments de l’ANC qui occupaient la ville de Kibombo, à 110 kilomètres au sud de Kindu, ont exécuté au moins 37 civils soupçonnés de soutenir les Mayi-Mayi qui se trouvaient dans les champs environnants. La population civile était considérée de part et d’autre du front comme étant en collusion avec l’ennemi. Les victimes ont été tuées à Kibombo par un peloton d’exécution de l’ANC, puis leurs corps jetés dans deux puits situés dans le quartier de Kawelo (30 corps) et le quartier des policiers (sept corps)849.
- Début 2003, des éléments de l’ANC venus de Kimbolo ont pillé le village de Lubelenge et incendié plus de 100 maisons ainsi que les lieux de culte (l’église méthodiste unie, l’église catholique et la mosquée) et des centres sanitaires. Les militaires cherchaient à chasser les Mayi-Mayi de l’axe Kibombo-Kindu dans le cadre de l’opération « Kangola Nzela » (ouvrez la porte). Lubelenge était le quartier général d’un groupe Mayi-Mayi qui harcelait régulièrement les militaires de l’ANC le long de cet axe850.
- Entre 2001 et 2003, des Mayi-Mayi ont violé un grand nombre de femmes de tous âges dans la ville de Kindu et ses environs. Par exemple, entre 2002 et 2003, 238 cas de viol ont été enregistrés dans le seul village de Lubelenge. Les victimes ont été le plus souvent agressées alors qu’elles quittaient la ville pour s’approvisionner en nourriture pendant le blocus de Kindu. De nombreuses femmes ont été enlevées et utilisées pendant plusieurs mois, voire une année, comme esclaves sexuelles dans les camps des Mayi-Mayi. Des cas de viol impliquant les militaires de l’ANC/APR/FRD ont aussi été enregistrés, mais en plus petit nombre851.
- Entre 2002 et le premier trimestre de 2003, des Mayi-Mayi ont enlevé, violé et utilisé comme esclaves sexuelles des centaines de femmes originaires de Kalima et sa région, dans le territoire de Pangi. Les victimes ont pour la plupart été enlevées pendant qu’elles se rendaient à Kamakozi, dans le territoire de Kailo, afin d’y cultiver leurs champs. Elles étaient souvent emmenées aux villages d’Amisi et de Kamakozi où les Mayi-Mayi avaient leurs bases. Ces derniers ont souvent aussi enlevé des hommes qu’ils ont ensuite utilisés pour des travaux forcés. Certaines femmes sont restées dans les camps Mayi-Mayi pendant plusieurs jours et d’autres pendant plusieurs mois. Toutes ont été violées quotidiennement par plusieurs hommes et soumises à toutes sortes de traitements cruels, inhumains et dégradants852.
- Entre 1999 et 2003, des Mayi-Mayi et des éléments de l’ANC/APR/FRD ont violé plus de 2 500 femmes dans les seules collectivités de Maringa, Mulu et Bakwange du territoire de Kasongo. Les victimes ont le plus souvent été agressées alors qu’elles se déplaçaient pour chercher de la nourriture ou effectuer des travaux domestiques. Lorsque les Mayi-Mayi prenaient un village occupé précédemment par l’ANC/APR, ils obligeaient souvent les membres d’une même famille soupçonnés d’avoir coopéré avec le RCD-Goma à avoir des relations sexuelles incestueuses en public. Lorsqu’ils commettaient des viols, les Mayi-Mayi obligeaient les hommes de la famille de la victime à en être témoins853.
454. Ces chiffres, donnés à titre d’exemple, sont très en dessous de la réalité. En effet, comme dans les autres provinces, de nombreux endroits restent encore inaccessibles, les victimes et les témoins n’ont parfois pas survécu aux violations ou ont toujours honte d’en parler. Lorsqu’elles ont survécu aux viols, au lieu d’être soutenues par leurs communautés, les femmes ont généralement été rejetées par leurs maris et leurs familles.
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