Section I > CHAPITRE IV. Janvier 2001-juin 2003 : Vers la Transition > G. Reste du pays
Kinshasa
455. Entre janvier 2001 et juin 2003, la répression contre les opposants politiques et les membres de la société civile a continué. Même si les cas de violations ont été moins nombreux, les forces de sécurité ont continué à commettre en toute impunité des meurtres, des exécutions sommaires et extrajudiciaires, des viols et des actes de torture. Ils ont aussi fait disparaître un nombre indéterminé de personnes. Les conditions de détention sont restées cruelles, inhumaines ou dégradantes et propres à causer de lourdes pertes en vies humaines.
456. Au cours de la période considérée, plus d’une trentaine de communications concernant des cas à Kinshasa ont été envoyées au Gouvernement via les mécanismes prévus par la Commission des droits de l’homme, parmi lesquels le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Groupe de travail sur les détentions arbitraires854 . Un grand nombre de ces communications concernaient les violations des droits de l’homme commises en relation avec la poursuite des personnes suspectées d’avoir participé à l’assassinat du Président Kabila.
- Le 16 janvier 2001, au camp Kokolo, à Kinshasa, des éléments des FAC ont exécuté sommairement 11 ressortissants libanais soupçonnés d’être impliqués dans l’assassinat du Président Kabila. Dans le cadre des rafles organisées après la mort du Président, une centaine de personnes au total ont été arrêtées et torturées. Certaines ont été détenues pendant plus de deux ans dans divers lieux de détention, notamment au pavillon 1 du CRPK sans être formellement inculpées855.
- À compter du 23 avril 2001, 19 militaires des FAC, originaires pour la plupart des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu qui avaient demandé officiellement asile au bureau du HCR à Brazzaville ont été transférés à Kinshasa en dehors de toute procédure légale puis torturés et soumis à des traitements cruels, inhumains et dégradants dans les cachots de l’ANR. Ils avaient été accusés d’avoir pris part à un complot visant à renverser le Président Kabila. Le 7 janvier 2003, ils ont été condamnés à la prison à vie par la Cour d’ordre militaire856.
457. Au cours de la période considérée, les forces de sécurité ont de façon générale commis dans une impunité quasi-totale des assassinats, des exécutions extrajudiciaires, des viols et des actes de torture à l’encontre des opposants politiques et des civils ordinaires. Les incidents étant trop nombreux pour être tous répertoriés, seuls quelques cas allégués sont rapportés ci-dessous à titre illustratif.
- Entre février et septembre 2001, un nombre indéterminé de personnes ont été torturées et soumises à des traitements cruels, inhumains et dégradants dans le bâtiment GLM par les services de sécurité. Au cours de la nuit, certaines personnes étaient sorties de leurs cellules et conduites jusqu’au bord du fleuve pour y être exécutées. D’autres prisonniers sont morts à la suite des tortures qui leur ont été infligées857.
- Mi-décembre 2001, des militaires des FAC ont arrêté une centaine d’étudiants à la suite des manifestations organisées pour protester contre la hausse des frais de scolarité universitaire. Durant cette opération, les FAC ont violé trois étudiantes. Neuf étudiants, considérés comme les meneurs, ont été torturés pendant trois mois dans différentes prisons de la ville y compris à la DGRS (Kin Mazière) et au CPRK. Au cours de l’opération, les militaires ont également pillé les résidences universitaires858.
Bas-Congo
458. Le Bundu Dia Kongo (BDK) est un mouvement politique, culturel et religieux qui milite pour la défense du peuple kongo. Outre l’établissement d’un État fédéral en RDC, le BDK réclame un redécoupage des frontières du continent africain et la reconnaissance d’une province autonome du Kongo central qui rassemblerait les territoires de l’Angola, de la République du Congo et de la RDC ayant appartenu à l’ancien royaume Kongo. L’incident allégué suivant a été documenté :
- Le 22 juillet 2002, des éléments de la police et des FAC ont tué au moins 14 civils, notamment à Luozi et Moanda, et arrêté plus de 40 personnes lors des manifestations organisées par le BDK. Les forces de sécurité ont aussi arrêté un grand nombre de militants de ce parti qui ont été détenus arbitrairement et torturés pendant plusieurs mois dans des prisons au Bas-Congo et à Kinshasa859.
Kasaï occidental
459. À compter de 2001, la stabilisation de la ligne de front et le déploiement de la MONUC tout au long de la ligne a permis à la province du Kasaï occidental de retrouver progressivement le calme. Dans leurs zones respectives, les FAC et les militaires de l’ANC/APR ont cependant continué à commettre des exactions à l’encontre de la population civile. Plusieurs cas ont été signalés mais l’enclavement et le manque de temps n’ont pas permis à l’Équipe Mapping de pouvoir tous les vérifier. Un cas allégué est mentionné ci-dessous à titre illustratif.
- En juillet 2001, des éléments de l’ANC/APR ont tué quatre civils dans le village de Mwanza, à 12 kilomètres de Kajiba, dans le territoire de Dimbelenge. Les victimes étaient accusées par les militaires de collaborer avec les FAC en leur fournissant notamment des renseignements860.
Kasaï oriental
460. Entre janvier 2001 et juin 2003, à la suite de l’instauration du cessez-le-feu et au déploiement de la MONUC le long de la ligne de front, la paix est progressivement revenue dans les parties sud et est du Kasaï oriental. Les civils ont malgré tout continué à vivre dans des conditions misérables et les femmes à être violées en grand nombre.
461. À Mbuji-Mayi, des centaines de civils, parmi lesquels de très nombreux jeunes, ont tenté de gagner leur vie en s’introduisant clandestinement dans la concession de la Minière des Bakwanga (MIBA) à la recherche d’éventuels diamants. En réaction, la MIBA et l’autorité provinciale ont fait appel à des groupes de gardiens surnommés Blondos afin d’épauler la police des mines861. Au cours de la période considérée, des éléments des FAC ainsi que, jusqu’à leur retrait de la RDC en 2002, des troupes de l’armée zimbabwéenne, ZDF, étaient également présentes sur la concession de la MIBA. La situation sur le polygone minier est devenue rapidement anarchique du fait de la concurrence entre ces différents groupes armés censés protéger la concession et de la présence parmi les creuseurs illégaux de certains éléments armés surnommés « suicidaires ». L’incident allégué suivant a été documenté :
- Entre 2001 et 2003, des gardiens de la MIBA ont tué et blessé plusieurs centaines de civils entrés illégalement dans le polygone minier. Les victimes ont été tuées par balle ou enterrées vivantes dans les trous où elles s’étaient cachées. Les gardiens de la MIBA ont également détenu dans des conditions cruelles, inhumaines et dégradantes un nombre indéterminé de creuseurs illégaux, parmi lesquels des mineurs, dans des cachots situés sur la concession. Plusieurs tueries ont été signalées au cours de 2001. Le 21 février 2001, des gardes de la MIBA ont surpris une trentaine de creuseurs illégaux dans le polygone et ont ouvert le feu. Ils ont aussi bouché avec des pierres et des barres à mines l’entrée de la galerie où s’étaient cachés certains creuseurs. Le lendemain, neuf corps ont été exhumés, parmi lesquels ceux de huit creuseurs morts par asphyxie et d’un creuseur mort par balle. Le 27 février 2001, le Ministre des droits humains a diligenté une enquête et saisi le Procureur de la Cour d’ordre militaire. Les gardiens de la MIBA ont invoqué la légitime défense, arguant que les creuseurs étaient armés. L’affaire a finalement été classée sans suite au motif que les victimes étaient décédées à cause d’un éboulement. Le 10 juin 2003, les gardes de la MIBA ont à nouveau tué un nombre indéterminé de creuseurs illégaux dans des circonstances similaires862.
462. Au cours de la période considérée, la situation en matière de sécurité dans le nord de la province (territoire de Katako-Kombe) s’est fortement dégradée à la suite de l’apparition de nombreux groupes Mayi-Mayi hostiles à la présence des troupes de l’ANC/APR/FRD dans le district de Sankuru. Certains groupes étaient affiliés aux mouvements Mayi-Mayi du Maniema voisin. D’autres, en revanche, sont restés plus indépendants, bien que tous étaient de fait alliés avec le Gouvernement de Kinshasa. En marge des affrontements entre les militaires de l’ANC/APR/FRD et ces groupes Mayi-Mayi, les civils ont été victimes de nombreuses graves violations de leurs droits. Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
- En mai 2001, puis à partir d’octobre 2001, des éléments de l’ANC/APR ont tué au moins sept civils et en ont torturé deux autres dans la ville de Katako-Kombe. Les victimes étaient soupçonnées de collaborer avec des Mayi-Mayi863.
- En mars 2002, des militaires de l’ANC/APR ont violé deux femmes et ont torturé 18 hommes dans le village de Nyeme du territoire de Katako-Kombe. Les militaires ont aussi pillé le village. Les victimes étaient des membres de l’église kimbanguiste. Les militaires leur reprochaient de collaborer avec un pasteur qui était en conflit avec deux responsables de l’ANC/APR au sujet d’une affaire de trafic de diamants864.
- En août 2002, des Mayi-Mayi de Lomassa ont exécuté un civil, violé deux femmes et blessé trois civils dans le village d‘Omeoga du secteur de Basambala, dans le territoire de Katako-Kombe. Les Mayi-Mayi ont aussi pillé et incendié le village. Les Mayi-Mayi accusaient les villageois de collaborer avec les militaires de l’ANC/APR/FRD basés à Katako-Kombe865.
- À compter d’avril 1999 jusqu’en 2003, les militaires de l’ANC/APR/FRD ont recruté, souvent de force, un nombre indéterminé d’EAFGA866 dans le territoire de Katako-Kombe. La plupart des victimes ont été utilisées pour porter les biens pillés ou transporter des armes et des munitions. Elles ont souvent été torturées, victimes d’actes cruels, inhumains et dégradants ainsi que de viols. Certaines des victimes ont reçu des armes à feu et servi soit comme gardes du corps soit comme combattants lors des affrontements contre les Mayi-Mayi. Dans une moindre mesure, les groupes Mayi-Mayi locaux et les FAC ont également recruté des EAFGA dans le territoire867.
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